Le retour de Michael Magee à Belfast
Un jeune homme tente de se libérer de son lourd héritage, dans la ville nord-irlandaise de Belfast, alourdie par son passé.
« L’endroit était plutôt sympa, pourtant. Ce n’était pas Bondi Beach, ni la Gold Coast. C’était juste un coup de chance dont on profitait dès qu’on avait assez d’argent pour s’acheter une bouteille de vodka, et on commençait à en avoir marre. Faire la fête, c’est bien au bout d’un moment, et quand il y a de moins en moins de gens avec qui faire la fête, on commence à penser qu’il n’y a nulle part où aller. On est condamné à végéter dans un trou avec les mêmes trois ou quatre visages pour le reste de sa vie, à se saouler, à se droguer et à traîner avec les fainéants du coin jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne à qui parler. »
Sean revient à Belfast, en Irlande du Nord, après ses études universitaires à Liverpool. Il retrouve le quartier populaire de Twinbrook, où vécut jadis le légendaire Bobby Sands, et où sa mère, femme de ménage, l’a élevé. Il retrouve aussi son demi-frère aîné Anthony, un loser pathétique, naviguant souvent entre deux crises sévères, entre deux défonces. Enfin et surtout, il retrouve ses amis d’enfance, qui n’ont pas bougé, et retombe avec eux dans une routine terne et toxique : vodka, coca et fêtes improbables, qui lui laissent un goût de bile au fond de la gorge.
Faute de mieux, Sean travaille quatre soirs par semaine comme barman dans un club de la ville, et squatte un appartement aux murs moisis avec son ami Ryan, qui a grandi dans la même rue que lui, et traîne avec lui, comme lui. Un soir, après le travail, Sean se bat avec un jeune homme, le frappe et le fait tomber à terre. Accusé de coups et blessures, il est condamné à deux cents heures de travaux d’intérêt général, et se retrouve à nettoyer des tombes dans un cimetière, sous une pluie glaciale irlandaise. Malgré ses études, malgré ses diplômes, Sean, de retour chez lui, est au plus bas.
Une amie d’enfance dont il est amoureux, Mairéad, qui aspire à devenir écrivain un jour et s’apprête à fuir Belfast pour Berlin, va lui présenter ses amis étudiants et l’aider à trouver sa voie, en se rapprochant d’un monde nouveau sans rejeter le sien.
Retour à Belfast est le premier roman de Michael Magee. Et c’est un coup de maître. Si ce roman d’apprentissage subtil et complexe sonne si juste et fait mouche, c’est avant tout parce qu’il est en grande partie autobiographique. Michael Magee, comme Sean, a grandi dans les cités HLM de la ville puis, comme ses deux frères, a commencé une carrière de peintre en bâtiment avant de poser les pinceaux et de se tourner vers des études universitaires.
Enfin, tout comme Sean dans la deuxième partie de ce livre, Michael Magee a vécu ce décalage entre son appartenance à une classe sociale défavorisée et le monde littéraire qu’il souhaitait intégrer. Son roman exprime ce malaise avec une finesse rare. Return to Belfast est aussi l’autopsie d’une ville souffrant durement, encore aujourd’hui, du traumatisme des Troubles qui l’ont si longtemps ensanglantée. Les crimes des uns ou des autres, catholiques et protestants, les secrets de famille liés à ces exactions (la mère de Sean en a plein les placards !) et les fresques morbides et martiales en hommage aux martyrs qui blanchissent les murs des quartiers, hantent ce récit profondément déchirant, révélation forte de cette rentrée. Sale vieille ville… et sacrément bon livre.
Philippe Blanchet
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