LA TRIBUNE DIMANCHE – Vous pensez que le recyclage du plastique est un mythe. Pourquoi ?
ROSALIE MANN – Plus qu’une légende, le recyclage du plastique est une hérésie. C’est exactement comme si on remettait un poison en circulation. Le plastique recyclé contient 1,24 fois plus de substances toxiques que le plastique vierge et libère plus de microparticules et de nanoparticules ; recycler le plastique ne résout donc pas le problème des toxines, qui sont toujours présentes. Quand on essaie de transformer le plastique en autre chose – par exemple des bouteilles en vêtements – on appelle cela du downcycling. Et c’est encore plus vicieux, car on se prétend éco-responsable, avec une impression de faire le bien, d’agir tout de suite, tout de suite… Le recyclage du plastique est un fléau bien enrobé de marketing afin de tromper le grand public. Il est essentiel d’arrêter de faire croire qu’il est vertueux, d’autant qu’on a tendance à valoriser et à mettre sur un piédestal ceux qui inventent des solutions pour recycler le plastique. Certaines entreprises, jusqu’ici plutôt vertueuses dans leur démarche, tombent dans le piège, justement parce qu’elles sont persuadées d’agir pour la planète, pour l’océan. Il est temps que les entreprises et le grand public soient prévenus. C’est très simple : le recyclage du plastique n’existe pas.
Le plastique a été l’une des premières raisons qui ont poussé les citoyens à faire attention à ce qu’ils jettent à la mer. La prise de conscience est-elle réelle ?
Le plus grand danger pour l’océan, ce sont les microparticules et les nanoparticules de plastique qui le polluent. Il y a un réveil des consciences, certes, mais en trente ans, toutes les plages du monde ont été contaminées. Trente ans, ce n’est rien à l’échelle mondiale. Il est alarmant de constater qu’en trois décennies, on a atteint de tels niveaux de pollution. Le grand public imagine que la pollution plastique commence par les déchets. C’est pour cela que son recyclage fonctionne si bien ! Or, la pollution commence par la production de matériaux. C’est une pollution invisible et une pollution qui impacte plus les femmes que les hommes. Ces dernières sont davantage exposées aux perturbateurs endocriniens présents dans le plastique pour des raisons biologiques et elles sont en contact avec lui – à travers les cosmétiques ou les produits d’hygiène notamment – le plastique leur ayant été présenté comme un élément d’émancipation, capable de leur faire gagner du temps. Matériau utilisé dans la fabrication de jouets pour enfants, le plastique est une véritable bombe atomique. Alors, oui, il a permis une accélération, mais la facture est salée, car une société malade coûte cher à l’économie.
Quel doit être le rôle des grandes marques, des constructeurs ?
Les grandes marques ont un rôle, un pouvoir d’influence, notamment à travers le vecteur du marketing et de la publicité. On attend d’elles qu’elles changent la donne. Il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais de faire les choses différemment. Quant aux industriels, ils agissent souvent à leur propre demande…
Dans le domaine des cosmétiques, de nombreuses marques investissent massivement en R&D. Ce secteur peut-il contribuer à faire connaître le secteur ?
Il n’existe pas encore assez d’alternatives. Les plastiques biosourcés ne peuvent pas s’adapter aux crèmes. Le verre fait face à des problèmes de coût, mais il a aussi mauvaise presse, alors que cette industrie a fait d’énormes progrès. Clairement, l’impact des microparticules et nanoparticules de plastique n’est pas inclus dans l’équation. Les marques de cosmétiques font beaucoup de recherche et développement sur la formulation de leurs crèmes, dans le but de s’assurer qu’elles ne polluent pas l’océan, mais elles ne prennent pas en compte les emballages et leur nocivité. Sur les 460 millions de tonnes de plastique produites par an dans le monde, 37 % concernent les seuls emballages. Il est essentiel que les marques – et plus largement les entreprises – se posent la question des emballages. Car, même si l’on parle de fin d’utilisation du plastique, il faut savoir que les prévisions sont basées sur une augmentation de sa production qui atteindrait 600 millions de tonnes par an d’ici 2030. Il faut prendre conscience que le niveau de production est lié à la demande. Donc beaucoup de tout cela est lié à la demande. De plus, au-delà des cosmétiques, en termes de santé publique, le plastique est un véritable fléau. Depuis les années 1990, on constate une augmentation du nombre de cancers. Pourtant, depuis les années 1990-2000, le plastique est utilisé partout.
Quel est le principe de « l’endurabilité » ?
Le principe d’endurabilité est un concept qui a été développé par Hamilton Mann, mon mari. L’idée est de prédire le modèle de société de demain, un modèle qui, parce qu’il prend en compte les enjeux écologiques, n’a plus rien à voir avec ceux des sociétés industrialisées que nous avons connues jusqu’à présent. Nous savons que nous ne pouvons pas revenir en arrière. L’enjeu n’est donc pas de durer, mais de perdurer, c’est-à-dire de prendre en compte les contraintes environnementales dans la définition d’un nouveau modèle. Nous défendons ce principe d’endurabilité dans les universités.
Où sont les innovations pour remplacer le plastique ?
Tout est là, mais on ne l’utilise pas. La lutte contre le plastique, c’est son combat. Rosalie Mann nous alerte sur la pollution invisible, véritable fléau pour l’océan et notre santé. Et dit haut et fort que nos solutions de retraitement ne sont qu’une illusion.
Un véritable enjeu de santé publique
Des microplastiques dans l’océan, mais aussi dans le Coca-Cola, les Schweppes, le placenta des mères, le cerveau… Voilà une petite partie de ce que Rosalie Mann appelle un scandale sanitaire dont le nom est plastique. Et parce qu’un scandale d’une telle ampleur doit être porté à la connaissance du plus grand nombre, elle explique tout dans un livre paru le 18 septembre, au sous-titre évocateur, Comment le plastique ruine notre santé, et qui se veut d’intérêt général. Au-delà de la dénonciation d’une pollution d’une ampleur insoupçonnée, dont les liens avec certaines maladies comme le cancer, le diabète, Alzheimer ou la maladie de Crohn sont avérés, Rosalie Mann dresse des pistes, appelle à revoir les modèles économiques des entreprises, à faire confiance à la nouvelle génération et surtout à imaginer des solutions.
Fini le plastique – Comment le plastique détruit notre santépar Rosalie Mann, éd. La Plage, 256 pages, 22 euros.