Le Rassemblement national et les riches, un rempart complexe – Libération
Jean-Philippe Tanguy a l’air agacé. L’examen du projet de loi de finances pour 2025 (PLF) bat son plein ce vendredi matin dans l’hémicycle, et la gauche a déposé une série d’amendements visant à rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à la place de l’impôt sur la fortune immobilière. (IFI) introduite par Emmanuel Macron en 2018 pour favoriser les détenteurs de capitaux. Le numéro 2 du Rassemblement national (RN) à l’Assemblée se sait dans une position malheureuse. Marine Le Pen critique depuis longtemps la suppression du FSI, qui aurait « a généré les gilets jaunes, une crise sociale majeure liée au sentiment d’injustice des Français », elle a de nouveau protesté en juillet 2022. Il serait incompréhensible que le parti d’extrême droite bloque une mesure de justice fiscale, même si elle était portée par la gauche. Parallèlement, depuis le début de l’examen du budget, quatre jours plus tôt, l’absentéisme croissant des députés du « socle commun » (députés Renaissance, Modem, Horizons et Les Républicains) a permis aux troupes du Nouveau Populaire de Front (NFP) pour remporter plusieurs victoires en augmentant les impôts des plus riches. Bien plus que ce que le RN aurait souhaité.
De la « taxes zinzin », fustige Tanguy, pris en étau : épargner les plus fortunés en bloquant l’ISF par la gauche ? Ou être amalgamé à ces derniers par la droite et le centre qui dénoncent le « folie fiscale » de la « deux extrêmes » ? Le « ni droite ni gauche » du parti lepéniste atteint ses limites. Il faut sortir du bois. Sur l’ISF, le frontiste propose donc une interruption de la séance afin de négocier un compromis. Le RN votera la nouvelle taxe si la résidence principale n’entre pas dans son calcul. Inacceptable pour la gauche, qui refuse par principe tout accord avec l’extrême droite et n’imagine pas accorder ce cadeau aux plus riches – le domicile fiscal bénéficie déjà d’une réduction de 30 %, ce qui implique que seuls les biens au-dessus de 2,6 millions d’euros seront concernés par la contribution. . Autrement dit, une infime minorité de privilégiés. La négociation se voit rapidement. Personne ne prend la peine de répondre à Tanguy, qui fait voter ses troupes contre le rétablissement des FSI. La mesure est inversée. La gauche n’a aucun mal à souligner que c’est le RN qui a sauvé la mise aux macronistes… Une fois de plus.
«Dernier rempart d’un bloc bourgeois»
Deux jours plus tôt, les troupes lépénistes avaient déjà sauvé la peau du prélèvement forfaitaire unique (PFU), autre mesure emblématique du président de la République mise en place en 2018 dans la même philosophie que l’IFI. Aussi appelé « impôt forfaitaire », son objectif était de prélever moins sur les revenus du capital (en les plafonnant à 30 %) que sur ceux du travail, pour « promouvoir l’investissement ». Marine Le Pen l’a vivement critiqué lors de sa création, dénonçant « des cadeaux aux plus riches », et propose depuis de le limiter drastiquement en le réservant aux foyers fiscaux gagnant moins de 60 000 euros par an. Mais mercredi soir, volte-face : ses troupes s’opposent à tous les amendements de la gauche et du Modem visant à faire passer le niveau du PFU de 30 % à 33 %, vaincus par l’addition des rares macronistes présents et des lépénistes mobilisés.
«Le RN soutient littéralement le gouvernement à bout de bras pour pallier un bloc central en totale désintégrationa dénoncé vendredi, l’insoumis président de la commission des Finances, Eric Coquerel. Pour l’instant, c’est bien eux, le dernier rempart d’un bloc bourgeois en défaite, ou nous.» Le parti d’extrême droite… assume ses responsabilités. Vendredi, ses députés ont une nouvelle fois joint leurs voix à celles des libéraux pour rejeter la « taxe Zucman », du nom de l’économiste qui l’a conçue comme un impôt global sur les milliardaires (2 % sur le patrimoine des milliardaires résidant fiscalement). en France ou y détenir des actifs pour un rendement de 13 milliards d’euros). Pas de bol, cette fois, les rangs frontistes se sont éclaircis et la mesure passe. Le député RN de la Somme Matthias Renault en impute la faute à ses nouveaux alliés. « Oui, la gauche vient de voter un impôt sur les grandes fortunes. Je m’adresse au bloc central, à vos électeurs qui vous ont donné un mandat. Nous sommes payés 7 000 euros par mois pour siéger à l’Assemblée, alors expliquez-vous à vos électeurs »il tempête. Son intervention a été rapidement trouvée sur les réseaux sociaux insoumis, comme une nouvelle démonstration de la collusion entre les deux blocs.
Changements de tons avec Bardella
Il s’est passé quelque chose durant cette première semaine de débats. « La ligne la plus libérale de l’extrême droite a repris du poil de la bête » Coquerel croit deviner, qui rappelle que le RN avait permis, par son abstention en commission, l’augmentation de trois points de l’impôt forfaitaire… avant de licencier son cuti, une semaine plus tard en séance. La conséquence des arbitrages perdus par le numéro 2 de Le Pen à l’Assemblée. « Tanguy a mangé son chapeau sur l’impôt forfaitaire et il lui reste encore un peu à avaler je pense », estime un proche de la direction. L’ancien numéro 2 de Nicolas Dupont-Aignan est seul dans le mouvement pour défendre un souverainisme prudent, prêt à taxer les grandes entreprises et les grandes fortunes. Lors de sa campagne européenne, Jordan Bardella a considérablement modifié le ton du parti en faveur des plus riches. Le plafonnement de l’impôt forfaitaire avait ainsi disparu, et la réforme des retraites souhaitée par le RN avait été conditionnée à un audit des finances publiques… Certes, l’abrogation de la loi 2023 reste à l’ordre du jour de la niche parlementaire lepéniste, mais en l’absence de soutien au Sénat, il n’a aucune chance de réussir. Le parti ne l’ignore pas et utilise principalement son projet de loi pour embarrasser la gauche, qui hésite à voter pour lui – avec un certain succès – et pour masquer les votes en faveur de l’augmentation des revenus sous un écran de fumée sociale.
Comme son abstention, mardi 22 octobre, lors du vote des amendements de gauche visant à pérenniser la contribution des revenus plus élevés. La mesure, limitée à trois ans dans le texte gouvernemental, visait à assurer une imposition maximale aux contribuables dont les revenus sont supérieurs à 250 000 euros, pour les célibataires, et à 500 000 euros pour les couples. « Le gouvernement voulait que ce soit deux ans (en réalité, trois ans, ndlr) et la gauche a voulu que ce soit tout le temps, avec le Modem. Nous avons proposé un compromis, à savoir qu’il se déroule jusqu’à l’élection présidentielle, pour que nous puissions en débattre devant tous les Français. Jean-Philippe Tanguy s’est justifié, noyant ainsi le poisson. Car son parti ne propose pas d’attendre 2027 pour offrir des cadeaux aux plus riches. Jeudi, le RN et l’Union des Droits pour la République (UDR), la petite formation d’Eric Ciotti, ont uni leurs voix pour faire adopter un amendement visant à autoriser le don de 120 000 euros par enfant, contre 100 000 euros actuellement. Et ce alors que 87 % des héritages sont inférieurs à 100 000 euros, constatait l’Observatoire des inégalités en 2022. Fidèles à leur ligne ultralibérale, les alliés de Marine Le Pen ont également déposé un amendement pour faire passer de 31 865 à 200 000 euros la déduction appliquée pour un don de grands-parents à leurs petits-enfants.
«Le PFN veut vous faire les poches»
Rien de nouveau sous le soleil frontiste, toujours favorable aux riches héritiers. En 2022, le candidat proposait de supprimer de l’assiette fiscale les biens immobiliers de 300 000 euros, et d’autoriser des dons défiscalisés de 100 000 euros tous les dix ans, contre tous les quinze ans actuellement. Lors de la séance, les députés RN ont naturellement voté contre toute restriction du pacte Dutreil, une mesure datant de 2023 qui porte à 75 % l’abattement sur la transmission des entreprises familiales. Pire : dans son contre-budget, le parti d’extrême droite entendait « élargir les conditions », et de dépenser un demi-milliard d’euros pour cela.
Si la gauche crie à l’imposture sociale, le RN tente de justifier sa philosophie, qui consiste à privilégier « enracinement », a « défendre les entrepreneurs » en luttant « contre les loyers et la spéculation ». Entre deux arbitrages perdus, Jean-Philippe Tanguy rappelle qu’il souhaite multiplier la taxe sur les rachats d’actions en la portant à 33%, dans le but de mettre fin à une pratique qu’il juge « immoral ». Cet ajout coûterait aux actionnaires un peu moins de 9 milliards d’euros. Selon les propres calculs du RN, l’impôt sur la fortune financière voulu par Marine Le Pen rapporterait aussi 3 milliards de plus que l’actuel IFI. Tanguy rappelle également que ses ouailles ont voté pour le rétablissement de « l’exit tax », qui pénalise les chefs d’entreprise souhaitant transférer leur domicile fiscal à l’étranger pour réaliser une plus-value. Comme le diable est dans les détails, l’extrême droite s’est violemment opposée à un amendement du groupe socialiste visant à lutter contre les « sauts spéculatifs » qui consistent à acheter et revendre un bien immobilier en peu de temps en le déclarant comme résidence principale et ainsi éviter les plus-values. les impôts. «Le PFN veut vous faire les poches»a dénoncé le député RN d’Aude Frédéric Falcon, référent du parti sur les questions immobilières, et fer de lance de la défense des propriétaires contre les normes qui empêchent, par exemple, la location d’une passoire thermique. Falcon a également partagé un visuel représentant la figure de l’auteur adjoint PS de l’amendement. Les vieilles méthodes de l’extrême droite au service des spéculateurs.