Nouvelles locales

Le Rassemblement national, catholique mais pas trop

« Judas. » C’est ainsi que Marine Le Pen a décrit les quelques élus et collaborateurs catholiques qui, lors de la présidentielle de 2022, ont quitté le Rassemblement national (RN) pour rejoindre le parti rival, dirigé par Éric Zemmour. Un mauvais pari ? Aujourd’hui vidé de ses principaux exécutifs par les clivages post-dissolution, le jeune parti nationaliste avait à l’époque réussi à séduire les élus RN catholiques, comme les députés européens Nicolas Bay et Jérôme Rivière ou encore Agnès Marion, la directrice de cabinet de Marion Maréchal, en proposant un programme conservateur et se positionne comme une défenseure de l’identité chrétienne de la France.

D’après les confidences recueillies à l’époque par Indiquerle triple candidat du RN à la présidentielle n’était pas inconsolable face à ces départs.  » (Les catholiques), Ils ont vraiment un problème, on ne pense pas la même chose, il n’y a rien à faire… », avait murmuré le député du Pas-de-Calais, après une énième défection de l’un d’entre eux. Et d’ajouter, d’un ton mordant : « Il y a douze Judas et un seul apôtre qui sont restés fidèles : ils se sont trompés dans la Bible ! »

En effet, depuis son accession à la tête du parti en 2011, Marine Le Pen n’a cessé de chercher à réduire avec succès l’influence des catholiques traditionalistes – « à l’ancienne à la française », affirme un ancien cadre du RN – qui bénéficiait pourtant d’une place historique au Rassemblement national. En privé, elle les appelait même « des catholiques fous »comme l’a révélé une enquête auprès de L’Express, publié en 2022.

« Nous ne pouvons pas gagner une élection sur le mariage homosexuel »

Un écrémage réalisé par conviction : Marine Le Pen, qui avait confié La Croix être « extrêmement religieux » mais « en colère contre l’Église »se méfie des infirmières catholiques élues et de leurs préoccupations politiques conservatrices. « Je vois effectivement qu’aller à la messe est un très mauvais point dans les commissions d’investiture », grince un cadre du parti catholique, contacté par La Croix. « Nous ne pouvons pas gagner une élection sur le mariage homosexuel ou la PMA. Ces gens ont agacé Marine Le Pen par leur purisme et leur manque total de sens politique. » confie une ancienne collaboratrice du RN.

PMA, GPA, euthanasie, famille traditionnelle… Sur tous ces sujets brûlants, les députés RN n’ont officiellement aucune consigne de vote. Mais force est de constater que la fille de Jean-Marie Le Pen s’exprime rarement sur ces sujets de bioéthique, qui sont des marqueurs importants pour les catholiques conservateurs du RN. Elle avait également refusé de participer à des manifestations contre le mariage homosexuel en 2013, même si certains de ses élus étaient descendus dans la rue. Plus récemment, elle fait partie des 46 députés RN qui ont voté en faveur de la constitutionnalisation de l’avortement, tandis que 14 se sont abstenus et 12 ont voté contre. « J’ai été choqué que le RN puisse faire de l’élimination des enfants à naître une valeur constitutionnelle »déplore le catholique Bruno Gollnisch, membre du bureau national du RN et frère de Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient.

Un calcul électoral

La prise de distance de Marine Le Pen avec la branche catholique-traditionnelle est aussi le résultat d’un calcul électoral, la présidente du RN considérant ces sujets comme des chiffons rouges clivants qui éclipseraient les questions sociales, auxquelles elle donne la primauté. Ce positionnement distancié vis-à-vis du catholicisme a atteint son paroxysme lors de l’élection présidentielle de 2022, lorsqu’il s’est assimilé, en Le FigaroLE « zemmourisme » a un « communautarisme » agrégation « chapelles remplies de personnages sulfureux »où elle met dans le même sac « catholiques traditionalistes », « païens » et « certains nazis ». Elle avait même reproché à Éric Zemmour de jouer « Communautarisme catholique conservateur contre communautarisme musulman ».

L’eurodéputé Nicolas Bay, catholique déclaré et frère de la prieure générale de la communauté traditionaliste des Dominicaines du Saint-Esprit, s’est alors ému. Il avait, par la même occasion, rejoint Reconquête !, dont la tête d’affiche Marion Maréchal – qui vient d’être exclue du parti des jeunes depuis  » trahison «  – professe ouvertement sa foi catholique. Récemment, nous avons pu voir la nièce de Marine Le Pen à quelques étapes du pèlerinage traditionaliste à Chartres.

En effet, depuis le début de son aventure politique, Éric Zemmour s’appuie sur les réseaux de « christianisme politique » retrace le journaliste Étienne Girard, dans son ouvrage sur l’essayiste (Les radicalisés, Seuil, 2021, 224 p., 19 €). « Ils partagent avec lui l’essentiel : une inquiétude face à la décadence du pays, à l’influence de l’Islam et à l’immigration. » Militants proches de Philippe de Villiers, Marion Maréchal ou encore Jean-Frédéric Poisson et Christine Boutin, ils ont soutenu l’ancien journaliste de Figaro durant sa campagne, ce dernier se présentant régulièrement comme un défenseur de « Identité chrétienne » de France.

Catholiques bienvenus… à condition de rester discret

Au RN, il reste une poche d’élus et de collaborateurs catholiques qui continuent de faire entendre leur ligne au sein de leur groupe à l’Assemblée nationale. Avec Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN au Palais-Bourbon, les députés Laure Lavalette et Christophe Bentz font partie de ces quelques élus catholiques qui occupent des postes de direction. Christophe Bentz a été rapporteur du projet de loi fin de vie pour le groupe RN, et Laure Lavalette vient d’être nommée porte-parole de la campagne législative. Ces deux élus n’ont pas hésité à monter sur le feu lors du débat sur « l’aide à mourir ».

Laure Lavalette, mère de cinq enfants, dont un trisomique, a électrisé l’hémicycle quand, début juin, elle a accusé la majorité de mettre en œuvre « une loi qui va tuer ». Renaud Labaye, le premier et le plus proche collaborateur de Marine Le Pen à l’Assemblée, aurait selon Libérer recruté une myriade de collaborateurs « À la Versailles » à ses côtés au Palais-Bourbon. Et ceci pour se justifier auprès du journal : « Ils savent très bien que la ligne est fixée par Marine Le Pen et que je serai le premier à les reprendre s’ils font quelque chose à base de religion. » Au RN, les catholiques restent donc les bienvenus à condition de rester… discrets. Et n’essayez pas d’influencer la ligne du parti.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
Bouton retour en haut de la page