La mort d’Odair Moniz, 43 ans, d’origine capverdienne, tué lundi 21 octobre à l’aube par un policier dans la banlieue de Lisbonne dans des circonstances floues, continue d’enflammer les quartiers de la capitale. Quatre nuits consécutives de violences ont fait plusieurs blessés et un chauffeur de bus a été grièvement brûlé dans la nuit de mercredi à jeudi, lorsque son bus de la société de transports publics Carris a été incendié par des individus cagoulés.
Dans un premier temps, la police avait affirmé que le Cap-Verdien avait brandi une arme blanche et qu’elle avait agi en état de légitime défense. Le policier en question, âgé de 20 ans, s’est depuis rétracté sur ses déclarations.
Contagion de la violence
Les faits se sont déroulés dans le quartier de Cova de Moura, dans la banlieue nord de Lisbonne, surnommée la 13e île du Cap-Vert pour avoir abrité pendant 40 ans de nombreux ressortissants de l’ancienne colonie portugaise. Les Cap-Verdiens constituent la deuxième plus grande population d’origine étrangère au Portugal, après les Brésiliens et les Angolais.
C’est dans le quartier voisin, réputé calme, de Zambujal, où vit la famille d’Odair Moniz, que les troubles ont commencé. Jets de pierres, cocktails molotov, incendies de poubelles, de voitures et de bus et fusillades ont rythmé ces dernières nuits. Très vite, les émeutes provoquées par de petits groupes se sont étendues aux autres quartiers de Lisbonne et aux villes voisines.
Face à la simultanéité d’attaques de petits groupes cagoulés dans différents points de l’agglomération de Lisbonne, les spécialistes établissent des comparaisons avec des événements similaires survenus en France. Le sociologue João Teixeira Lopes, de l’université de Porto, s’est dit « pas surpris par cette explosion de violence, rare au Portugal ». « Les quartiers manquent de tout, dit-il. Nous gérons la frustration, et parfois la colère est le seul moyen d’expression des habitants des quartiers défavorisés confrontés à une violence institutionnelle constante. C’est la seule façon d’être entendu. ».
Un million de résidents étrangers
Cette fois, les autorités ont décidé de faire travailler ensemble les services de renseignement de la police et de la gendarmerie. Treize personnes ont été arrêtées jusqu’à présent. L’information judiciaire est en cours pour déterminer les circonstances du décès du Cap-Verdien. Les autorités soulignent qu’il n’y a aucune tolérance possible à l’égard de la violence, mais tentent de ne pas « stigmatiser » la crise en en faisant une question raciale. Une attitude prudente qui a beaucoup déplu au parti d’extrême droite montante Chega (50 députés au Parlement).
Son chef, André Ventura, fustigé « un gouvernement qui devrait se tenir aux côtés des forces de sécurité et non des perturbateurs ». Il n’a pas hésité à faire du policier impliqué dans la mort d’Odair Moniz un quasi-héros. Les sympathies de la police pour Chega sont de notoriété publique. André Ventura est allé encore plus loin, accusant le premier ministre social-démocrate, Luis Monténégro, de se montrer « plus Cheganien que Chega » concernant l’immigration.
La population étrangère du Portugal a doublé en cinq ans, de nombreux migrants venant d’Asie pour travailler dans les fermes et les restaurants. Les résidents étrangers représentent désormais un million de personnes, soit environ un dixième de la population totale, selon les données gouvernementales. Luis Monténégro a récemment annoncé son intention de créer deux centres de détention pour migrants au Portugal et de réduire les certificats de résidence délivrés par les municipalités.
Il a également confirmé qu’il était favorable à des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne. « Le pays ne laissera pas ses portes ouvertes », a-t-il rappelé. Le gouvernement de droite a déjà récemment supprimé la « déclaration d’intérêt » qui permettait à un immigré de venir chercher du travail au Portugal. Plusieurs mouvements et associations antiracistes des banlieues concernées ont annoncé l’organisation d’une » manifestation pacifique » protester « contre les violences policières dans les quartiers »prévu le samedi 26 octobre dans le centre de Lisbonne.