LSa bête noire, c’est lui. Laboureur de pelouses, coupeur de routes, irruption de la nature aux abords de la ville – un espace où on ne le chasse pas… Le sanglier urbain, peu connu et peu aimé, méritait bien une thèse. Carole Marin s’en est saisi au sein du laboratoire Passages (1). Son œuvre, « Sauvage en ville, le sanglier de Bordeaux », vient d’être primée par le Comité National de Géographie (CNFG).
«C’est à la fois totalement inattendu et un grand honneur», commente celle qui est aujourd’hui médecin à deux reprises. Les questions qu’elle se posait sur le sanglier s’inscrivent dans le prolongement de celles qu’elle avait abordées lors de sa première vie, en 2010. Docteure en médecine vétérinaire, elle avait acquis une première expérience de recherche en République démocratique du Congo. sur la vente illégale de chimpanzés. « J’ai remarqué que, pour aborder la gestion des espèces, nous sommes obligés d’ouvrir notre approche aux aspects sociaux et aux conditions politiques. »
Devenue vétérinaire en Gironde, sa « patientèle » comprenait 50 % de chiens de chasse. Le sanglier mettait son nez dans son existence. En 2017, elle décide de se réorienter vers la recherche. L’évidence saute aux yeux : le sujet qui convient à son approche est la géographie. En avant une thèse sur la place de l’animal, celle qu’on veut lui donner, celle sur laquelle les acteurs vont argumenter. Il ne restait plus qu’à trouver un « animal à problèmes » dans un espace où il n’avait « rien à faire ». Le sanglier en ville.
État des connaissances : une feuille blanche. Seul indice : « En 2013, 70 sangliers ont été abattus par des lieutenants de la louveterie dans la métropole bordelaise. En 2021, ils étaient 500. » Sept fois plus.
Grille
Pour en savoir plus, le chercheur arpente la métropole, suit les populations dans les zones tests, avec des colliers GPS et des relevés d’index. Sa conclusion : « La présence du sanglier est favorisée par la nature en ville, qui offre des espaces de repos, de reproduction, d’alimentation et de déplacement. »
Restait à comprendre quels domaines favorisent son installation, lesquels il évite. « Pourquoi est-il ici plutôt qu’ailleurs ? Pas nécessairement pour les raisons que nous pensons. Par exemple, il a besoin de forêt mais reste indifférent à sa fragmentation. La zone où sa probabilité de présence est supérieure à 50 % suit le réseau vert urbain, conçu pour la conservation des paysages et de la biodiversité, mais pas nécessairement pour celle-ci. »
Autre enseignement : l’animal est devenu sédentaire. « Pas rue Sainte-Catherine, mais dans des espaces un peu moins denses et quand même très urbains. Ce qui frappe, c’est la grande variabilité de son comportement. Certains se déplacent sur une superficie de 1,5 km², car ils y trouvent tout ce dont ils ont besoin. D’autres, 64 kilomètres carrés. Bref, le sanglier est un « mauvais » modèle écologique : il n’est pas sélectif dans son habitat ni dans son alimentation. » Et cela pour cause : il est hyper adaptable. Quelqu’un qui habite dans une zone industrielle n’aura pas le même comportement en semaine et le week-end, lorsqu’elle est déserte. Un autre fut suivi en traversant la Garonne entre Bouliac et l’île d’Arcins pour y passer quelques jours.
Représentations
Conclusion de Carole Marin : « Quand se pose la question de la « gestion » du sanglier, il faut partir de ces problématiques hyperlocales et des populations qui y vivent. Il n’existe pas de recette qui fonctionne partout. »
« Le problème… c’est que nous ne savons pas grand-chose sur le problème. Et ceux qui savent ne communiquent pas toujours entre eux. »
C’est là qu’intervient une couche supplémentaire : « Les acteurs impliqués ont des représentations très différentes. Certains veulent réduire la densité par des coups. D’autres préconisent de cibler les zones où des dégâts sont observés, où l’animal est devenu trop audacieux. D’autres, enfin, prônent la chasse à l’approche, à l’affût – ce qui n’est pas la tradition dans le Sud-Ouest. Ni les chasseurs, ni les élus, ni les agriculteurs, ni même les scientifiques ne sont unanimes sur les solutions à apporter. Si j’ose dire, le problème… c’est que nous ne savons pas grand-chose du problème. Et ceux qui savent ne communiquent pas toujours entre eux. »
Carole Marin en est consciente : la base de données qu’elle a créée pour sa thèse n’est qu’un début. Elle poursuit ses travaux postdoctoraux au sein d’une équipe multidisciplinaire, en partenariat avec la Métropole notamment. « Notre feuille de route est de trouver des solutions efficaces. La première que nous avons proposée était de créer un outil de suivi alimenté par toutes les parties prenantes. » Où, quand, combien, comment… L’imprévisible cochon n’y fait rien, mais pour trouver des solutions, mieux vaut savoir de quel problème on parle.
(1) Unité mixte de recherche CNRS de l’Université Bordeaux-Montaigne, de l’Université de Bordeaux et de l’École d’architecture et de paysage de Bordeaux.