Le président de la République peut-il nommer qui il veut comme Premier ministre, comme l’affirme Raquel Garrido ?
« Le président a le pouvoir de prendre un passant dans la rue s’il veut le faire Premier ministre », dénonce la députée insoumise sortante Raquel Garrido, en pleine campagne pour les législatives anticipées. Le chef de l’Etat dispose, certes, d’une totale liberté dans son choix, mais il est admis qu’il opte pour une figure issue du parti majoritaire à l’Assemblée nationale.
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Les premières affiches de campagne commencent à apparaître. Le Rassemblement national vient de publier le sien : le visage du président du parti, avec écrit en gros « Jordan Bardella, Premier ministre ». Il y a deux ans, Nupes, qui espérait aussi une cohabitation, a publié une affiche « Élire Jean-Luc Mélenchon ». Pour Raquel Garrido, députée insoumise sortante de Seine-Saint-Denis, ce type d’affiche mobilise. Mais elle reconnaît que c’est trompeur : « Tout le monde sait que les Premiers ministres ne sont pas élus, le Président a le pouvoir de prendre un passant dans la rue s’il veut le faire Premier ministre, c’est quand même la faute de notre Constitution », a-t-elle dénoncé sur Public Sénat, mardi 11 juin. Le président de la République peut-il vraiment nommer qui il veut ? En cas de cohabitation, est-il obligé de désigner le chef du parti arrivé en tête aux élections législatives ?
Il est vrai qu’officiellement, le Président de la République a toute liberté pour nommer le Premier Ministre. L’article 8 de la Constitution stipule simplement : « Le Président de la République nomme le Premier Ministre ». Rien de plus n’est précisé. « Rien dans la Constitution ne l’empêche de faire son choix, c’est son propre pouvoir »explique à franceinfo Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’université de Rouen.
Mais la France est un régime parlementaire, le gouvernement est « responsable devant le Parlement ». Le gouvernement est donc un « émanation de la majorité parlementaire »précise Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille. « C’est une coutume constitutionnelle séculaire, dans tous les systèmes parlementaires en Europe et dans le monde, nous nommons le leader naturel de la majorité choisi par les urnes », poursuit Anne-Charlène Bezzina.
Lorsque le camp présidentiel obtient la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, le chef de l’Etat choisit une personnalité qui fait consensus au sein de ses troupes. Ce n’est pas forcément le président du parti présidentiel. Emmanuel Macron a par exemple nommé Édouard Philippe Premier ministre ou Élisabeth Borne.
Que se passe-t-il lorsque l’opposition remporte la majorité aux élections législatives ? Rien n’est imposé dans les textes, mais il est admis que le président de la République nomme le chef du parti vainqueur. En 1986, lors de la toute première cohabitation de la Ve République, François Mitterrand nomme Jacques Chirac président du RPR, parti arrivé en tête aux élections législatives. Si le Rassemblement National l’emporte à l’issue des deux tours, le 7 juillet, « on voit mal Macron ne pas désigner le chef du parti vainqueur », Projets d’Anne-Charlène Bezzina. « Si le RN dit que Jordan Bardella sera Premier ministre, ce sera lui. »
Si le Président de la République ne respecte pas cela « coutume », cela risque de provoquer un blocage institutionnel et une instabilité. Les députés de l’opposition, majoritaires, pourront voter une motion de censure, qui renverserait le gouvernement nouvellement nommé, comme le prévoit l’article 49 de la Constitution. « Il faut prendre en compte trois critères : constitutionnel, institutionnel et pratique. » résume Jean-François Kerléo. « Si vous nommez Jean-Luc Mélenchon Premier ministre, alors que le RN est arrivé premier aux législatives, il ne sera pas gouvernable »il insiste. « Tous les textes seront bloqués s’il n’y a pas d’accord. »