Il compte près de 15 millions d’abonnés sur Spotify et YouTube, et ses podcasts sont téléchargés environ 200 millions de fois chaque mois. L’influence de Joe Rogan, le roi controversé mais ultra-populaire des podcasts aux Etats-Unis, n’a pas échappé aux deux candidats à la présidence américaine du 5 novembre.
Le républicain Donald Trump a fait savoir qu’il comptait être invité par Joe Rogan, alors qu’il était interviewé à l’antenne d’un autre podcast, « Full Send », samedi 12 octobre. La démocrate Kamala Harris ne semble pas vouloir être en reste. Son équipe négocie une apparition de l’actuel vice-président sur le podcast The Joe Rogan Experience, a indiqué Reuters, citant des sources proches des négociations en cours, lundi 14 octobre.
L’air du temps des médias
Cette opération de séduction de Joe Rogan illustre la place de plus en plus importante que prennent les podcasts aux Etats-Unis pour les dirigeants politiques. «Cela n’a plus rien à voir avec la dernière élection présidentielle de 2020, où c’était exclusivement Donald Trump qui acceptait d’apparaître à l’antenne de ces émissions», assure Richard Hargy, spécialiste de la politique américaine à l’Université Queen’s. Belfast.
Donald Trump a poursuivi sur sa lancée de 2020, mais a accéléré le rythme de sa tournée de podcasts. Au cours des quatre derniers mois seulement, il a parlé avec l’influenceur Logan Paul sur son podcast « Impaulsive », s’est assis sur le canapé du comédien Andrew Schulz qui anime le podcast Flagrant, et est apparu dans l’émission d’Adin Ross, un streamer qui revendique depuis longtemps être un disciple de l’influenceur masculiniste Andrew Tate.
Sa rivale, Kamala Harris a lancé sa saison de podcasts avec une apparition dans l’émission « All the smoke », animée par deux anciennes stars de la NBA et très appréciée des jeunes Afro-Américains, le 30 septembre. Elle a ensuite fait une apparition très remarquée dans l’émission féministe. podcast « Call her Daddy » le 6 octobre. Elle s’est entretenue pendant plus de 45 minutes avec Alex Cooper, l’animateur de cette émission suivie par cinq millions d’internautes sur Spotify.
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Kamala Harris a ainsi accordé plus de temps à un animateur de podcast qu’aux journalistes de CNN… s’attirant les remarques cinglantes de certains grands médias.
La faute au Zeitgeist médiatique. C’est dans l’air du temps : « écouter des podcasts fait partie de la routine hebdomadaire d’un nombre croissant d’Américains pour s’informer », note Richard Hargy. Plus d’un tiers des adultes américains écoutent désormais plusieurs podcasts chaque mois, a découvert le spécialiste américain des statistiques Pew Research Center dans une analyse publiée en avril 2023.
« Les auditeurs américains souhaitent de plus en plus se divertir et accessoirement s’informer, ce qui correspond parfaitement au modèle du podcast », explique René Lindstädt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham.
« Les politiciens américains commencent seulement à réaliser l’importance de ce média », déclare Thomas Gift, directeur du Centre pour la politique nord-américaine à l’University College de Londres.
Des podcasts plus bienveillants
En la matière, Donald Trump fait figure de pionnier puisque, déjà lors de la campagne de 2016, il n’hésitait pas à participer à des émissions de podcasts. Mais à l’époque, il s’agissait plutôt de valoriser son image de candidat en marge du système… y compris du système médiatique traditionnel.
Mais en 2024, « les podcasts sont devenus aussi mainstream que les journaux télévisés traditionnels », confirme Thomas Gift.
Cette normalisation du podcasting peut apparaître comme un avantage pour la tribune républicaine. « Le format très libre convient mieux à quelqu’un comme Donald Trump, qui semble apprécier les conversations spontanées. Kamala Harris peut être une très bonne oratrice, surtout lorsqu’elle est bien préparée, ce qui est beaucoup plus difficile pour des formats comme les émissions de podcast », souvent longs et pas forcément prévisibles dans leur déroulement », analyse Thomas Gift.
Pourtant, l’apparition de Kamala Harris dans « Appelle son papa » a fait plutôt bonne impression, selon les experts interrogés par France 24. La cause des podcasts n’est donc pas perdue pour la candidate démocrate. Au grand désarroi d’ailleurs des médias traditionnels qui disent regretter les réticences de Kamala Harris à leur accorder des interviews.
« Il est vrai qu’il est plus facile pour les candidats de trouver des interlocuteurs sympathiques dans les podcasts que sur un plateau de télévision, face aux journalistes traditionnels. Pour les deux camps, ces émissions représentent une publicité bon marché», juge René Lindstädt.
Touchez le bon public
Mais pas seulement de la publicité. L’opération de charme de Donald Trump et Kamala Harris à l’égard des podcasts est « aussi le reflet d’une course présidentielle très serrée », assure René Lindstädt. Les grands consommateurs de CNN, Fox News ou encore du New York Times et du Washington Post ont « déjà, pour la plupart, choisi entre les deux candidats », estime Richard Hargy. Pour lui, Kamala Harris et Donald Trump ont plus de chances de toucher les indécis en s’adressant aux auditeurs de podcasts.
Ces spectacles ont aussi un autre avantage : il y en a pour tous les goûts. Autrement dit, « il est beaucoup plus facile de cibler un public bien précis », assure René Lindstädt. C’est ce qu’a fait Kamala Harris avec « Call her daddy » qui lui permettait de s’adresser directement aux femmes pour tenter de les mobiliser au maximum. « Quand une élection est aussi serrée, pouvoir toucher un électorat bien précis peut être déterminant », ajoute cet expert.
Apparaître sur le podcast de Joe Rogan s’inscrit également dans cette stratégie. Le public de cet influenceur, majoritairement composé d’hommes qui penchent politiquement à droite, intéresse les deux candidats. Donald Trump veut s’assurer que cela ne lui échappe pas. Et Kamala Harris multiplie actuellement ses appels auprès des hommes conservateurs qui ne sont pas sûrs à 100 % de vouloir voter pour Donald Trump. Elle a ainsi tenté de séduire les propriétaires d’armes en déclarant qu’elle en faisait partie, et a accepté le principe d’une interview sur la très conservatrice chaîne Fox News. Répondre aux questions de Joe Rogan « s’inscrit dans cette même stratégie consistant à tenter d’élargir son électorat à quelques semaines du scrutin », conclut Thomas Gift.