Gustave Caillebotte est doublement mis à l’honneur cet automne au musée d’Orsay, en tant que peintre, mais aussi en tant que collectionneur. Le musée, qui lui consacre une magnifique exposition, Caillebotte, peignant des hommesjusqu’au 19 janvier 2025, a également réuni dans deux salles du cinquième étage l’exceptionnelle collection de trésors impressionnistes qu’il a légués à l’État à sa mort en 1894.
Nous parlons de merveilles comme Bal au moulin Galette d’Auguste Renoir, Le balcon par Édouard Manet, Déjeuner de Claude Monet, Le Golfe de Marseille, vue depuis l’Estaque de Paul Cézanne, Ballet, également connu sous le nom de L’Étoile par Edgar Degas ou Chemin, sous-bois de Camille Pissaro.
Car Gustave Caillebotte est non seulement un artiste aussi talentueux que prolifique – il a laissé plus de 500 tableaux – mais aussi un ardent promoteur des impressionnistes qu’il rejoint à l’invitation de son ami Auguste Renoir vers 1875. Il admire et croit en cela. groupe d’artistes et leur vision audacieuse, en rébellion contre l’académisme de leur temps. Issu d’une famille aisée, il organise des expositions et encourage le mouvement en achetant des œuvres à ses amis, à des prix généreux, et notamment à Claude Monet, à qui les prêts, locations d’appartements et autres avances se transforment souvent en dons.
La collection qu’il constitue peu à peu est celle d’un artiste et non d’un spéculateur financier. « Dans ses achats, qu’il effectuait directement en atelier auprès des artistes, il y a un élément de soutien, ce qui explique pourquoi certaines œuvres sont plus faibles. »explique Fanny Matz, responsable des études documentaires au musée d’Orsay, pour franceinfo Culture.
« Mais il a de l’œil et fait de vrais choix, parfois radicaux. Il a le goût de la modernité et est en avance sur son temps. Par exemple, il acquiert Étude, dit aussi Torse, effet soleil de Renoir, qu’un critique d’art comparait alors à un tas de chair en décomposition. On peut aussi penser qu’il s’inspire des tableaux qu’il achète, notamment ceux de Pissarro. » Preuve de sa sincérité, il a vécu entouré des œuvres de ses confrères jusqu’à son dernier souffle, comme en témoignent les photos de l’exposition. Il comprendra même la célèbre toile Bal au moulin Galette de son ami Auguste Renoir dans son Autoportrait au chevalet.
Afin de faire connaître les peintres impressionnistes et assurer au mouvement une place dans l’histoire de l’art, cette cause qui lui tient tant à cœur, Gustave Caillebotte a pris ses dispositions, très jeune, à 28 ans, au lendemain du décès de son jeune frère René. Parce qu’il craignait aussi de mourir prématurément – il mourut d’une congestion cérébrale à l’âge de 45 ans, en 1894, alors qu’il peignait dans son jardin – l’artiste rédigea un testament le 3 novembre 1876 dans lequel il fit d’Auguste Renoir son exécuteur testamentaire et légua, en une démarche inédite, sa collection de tableaux impressionnistes à l’Etat, sous conditions.
Et c’est là que tout se complique. Il exige en effet que les œuvres ne soient pas reléguées »ni dans un grenier ni dans un musée de province » mais sont exposés au Musée du Luxembourg (puis Musée des Artistes Vivants) »et plus tard au Louvre ».
A sa mort, ce legs, qu’il enrichit au fil du temps de chefs-d’œuvre, comprend plus d’une soixantaine de peintures et de dessins. Au terme de longues et laborieuses discussions entre les héritiers de Caillebotte, Auguste Renoir et l’administration des Beaux-Arts, et alors que la presse s’en mêle, un compromis est finalement trouvé : une extension du Musée du Luxembourg sera construite. surtout pour les accueillir.
Mais, faute de place pour exposer toutes les œuvres, le legs accepté par l’État est réduit de moitié. Martial Caillebotte a longtemps espéré, en vain, que l’État accepterait les tableaux restants. Ils furent finalement vendus et dispersés au début du XXe siècle par ses héritiers – navrant de savoir, par exemple, qu’un Cézanne comme Baigneurs au repos partit aux Etats-Unis, à Philadelphie, dans la collection Barnes. Les artistes participant à la collection sont consultés pour la sélection des œuvres, et certains, comme Monet, Sisley et Pissarro, demandent à substituer certains de leurs tableaux à d’autres, jugés par eux meilleurs.
Lorsque la salle Caillebotte, qui constitua la toute première galerie muséale impressionniste au monde, fut inaugurée en 1897 au Musée du Luxembourg, elle comptait finalement 38 tableaux et pastels, dont huit toiles de Monet, six de Renoir, deux de Cézanne, deux de Manet et sept pastels de Degas. Martial Caillebotte ajouta peu après, sous forme de donation, deux tableaux de son frère, qui, de nature modeste, n’avait inclus aucune de ses œuvres dans ce legs : Raboteuses de parquetqu’Auguste Renoir considérait comme son chef-d’œuvre, et Vue des toits (Effets de neige).
Si cette annexe du Luxembourg est critiquée pour son exiguïté qui ne permet aucun retrait, son accrochage « snature »et son manque de lumière, il attire une foule considérable, qui se partage entre « cris de peur » ou « extase » face à ces œuvres révolutionnaires. Ce faisant, Caillebotte atteint son objectif et permet au plus grand nombre de découvrir les impressionnistes. Par ce geste fondateur, qui a malheureusement laissé son œuvre dans l’ombre, il initie également un mouvement parmi les collectionneurs, dont les héritages à l’État se multiplient alors, d’Issac de Camondo à Etienne Moreau-Nélaton. Il suffit de dire que l’art lui doit beaucoup de gratitude.
Exposition « Caillebotte, peindre des hommes »(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre) et (rez-de-chaussée) et accrochage en hommage à son travail de collectionneur et donateur (au 5ème étage) au musée d’Orsay, du 8 octobre 2024 au 19 janvier 2025. Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tous les jours, sauf le lundi et le 25 décembre, de 9h30 à 18h00 avec nocturne tous les jeudis jusqu’à 21h45
Deux catalogues, l’un sur l’exposition et l’autre sur son legs, sont édités à cette occasion.
Un nouveau documentaire, « Gustave Caillebotte, héros discret de l’impressionnisme » (52 min), réalisé par Lise Baron, est diffusé vendredi 1er novembre à 22h30 sur France 5 puis en rediffusion sur france.tv