Pavel Durov, PDG franco-russe de Telegram, s’exprime le 21 septembre 2015 à San Francisco, en Californie (GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Steve JENNINGS)
Le patron de Telegram, Pavel Dourov, a été mis en examen mercredi soir par un juge d’instruction parisien qui lui reproche de ne pas avoir agi contre la diffusion de contenus criminels sur le service de messagerie, et s’est vu imposer une lourde mesure de contrôle judiciaire lui imposant de rester en France, au risque de provoquer de nouvelles réactions de colère dans le monde.
Accompagné de son garde du corps et de son assistant, le milliardaire fondateur du service de messagerie, d’origine russe et âgé de 39 ans, a été interpellé samedi soir dans le terminal de l’aéroport du Bourget (nord de Paris) en vertu d’un mandat de recherche français, puis placé en garde à vue.
M. Durov arrivait de Bakou et devait passer au moins la soirée à Paris, où il avait prévu de dîner.
Selon une source proche du dossier, confirmant Politico, Pavel Dourov et son frère Nikolaï, tous deux cofondateurs de Telegram en 2013, faisaient l’objet de mandats de recherche émis par la justice française depuis mars dans le cadre d’une enquête préliminaire.
– Complicité ? –
Photo prise le 8 novembre 2021 à Moscou du logo Telegram sur l’écran d’un smartphone (AFP / Kirill KUDRYAVTSEV)
Les enquêtes ont été confiées au Centre de lutte contre la criminalité numérique (C3N) et à l’Office national de lutte antifraude (ONAF), où la garde à vue a lieu depuis samedi.
Mercredi en début d’après-midi, M. Durov a été présenté à un juge d’instruction qui, selon un communiqué de la procureure de Paris Laure Beccuau, l’a inculpé après plusieurs heures d’interrogatoire de nombreux délits : « refus de communiquer des informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi », complicité de délits et crimes organisés sur la plateforme (trafic de stupéfiants, pédophilie, escroquerie et blanchiment en bande organisée) et « prestation de services de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration en bonne et due forme ».
Libéré, M. Durov est soumis à un contrôle judiciaire strict, qui comprend l’obligation de payer une caution de 5 millions d’euros et de se présenter au commissariat deux fois par semaine, ainsi qu’une interdiction de quitter le territoire français, selon le communiqué de Mme Beccuau.
Devant certains médias du tribunal judiciaire de Paris, son avocat David-Olivier Kaminski a estimé qu' »il est totalement absurde de penser que le responsable d’un réseau social puisse être impliqué dans des faits délictueux qui ne le concernent ni directement ni indirectement ».
Dans son communiqué, la procureure de Paris explique que Telegram « apparaît dans de multiples dossiers relatifs à différentes infractions (pédocriminalité, trafic, haine en ligne) » et affiche une « absence quasi totale de réponse de Telegram aux réquisitions judiciaires », signalées au parquet « notamment par l’Office national des mineurs (Ofmin) ».
Selon une source proche du dossier, les réponses positives de Telegram aux réquisitions judiciaires françaises ces dernières années se comptent sur les doigts d’une main.
Selon le procureur, « consultés, d’autres services d’enquête et parquets français ainsi que divers partenaires au sein d’Eurojust, notamment belges, ont partagé le même constat », déclenchant l’ouverture d’une enquête « sur l’éventuelle responsabilité pénale des dirigeants de cette messagerie dans la commission de ces infractions ».
Une source proche de la messagerie a contesté ce décompte, évoquant plutôt des problèmes de communication avec les autorités françaises.
– « Intimidation » –
Photo prise à Ivry-sur-Seine (France), le 26 août 2024, depuis l’Office national de lutte anti-fraude (ONAF) où le patron franco-russe du Télégramme Pavel Durov est en garde à vue (AFP / STEPHANE DE SAKUTIN)
L’arrestation de Pavel Durov, basé à Dubaï, a suscité de vives réactions dans le monde entier. Il a reçu le soutien du lanceur d’alerte américain basé en Russie Edward Snowden et d’Elon Musk, le patron américain de X.
A Moscou, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a déclaré mardi que « les accusations portées sont très graves et nécessitent des preuves tout aussi solides », dénonçant une « tentative d’intimidation ».
Le président Emmanuel Macron a assuré lundi que l’arrestation de Pavel Dourov n’était « en aucun cas une décision politique » mais s’inscrivait « dans le cadre d’une enquête judiciaire », ajoutant que la France était « attachée à la liberté d’expression et de communication ». Les deux hommes avaient déjeuné ensemble en 2018.
Le service de messagerie en ligne que Pavel Durov a lancé en 2013 avec son frère Nikolaï, sur lequel les communications peuvent être cryptées de bout en bout et dont le siège est à Dubaï, s’est positionné à contre-courant des plateformes américaines, critiquées pour leur exploitation commerciale des données personnelles.
Telegram s’est engagé à ne jamais révéler aucune information sur ses utilisateurs.
« Telegram respecte les lois européennes (…), son action de modération est conforme au standard du secteur », s’est défendu Telegram sur sa propre chaîne dimanche soir.
Pavel Durov s’est installé à Dubaï et a obtenu la nationalité émirienne puis, en août 2021, la nationalité française grâce à une procédure rare sur laquelle Paris reste très discret.
Ses ennuis judiciaires ne se limitent pas : une source proche du dossier a indiqué mercredi à l’AFP qu’une deuxième enquête venait d’être ouverte visant M. Dourov pour « violences graves » sur l’un de ses enfants à Paris, confiée à l’Office des mineurs (Ofmin).
Les actes auraient été commis contre un fils du milliardaire franco-russe né en 2017.
Le jeune garçon vit désormais en Suisse avec sa mère, qui a déposé plainte dans ce pays en 2023, accusant son ex-conjoint de violences sur l’un de ses enfants, a poursuivi la source proche du dossier.
Selon le magazine Forbes, la fortune de M. Durov est estimée à 15,5 milliards de dollars.