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Le patriotisme industriel existe-t-il ? « On a créé 1 million d’entreprises en France l’an dernier, selon Jean Viard, on en a fermé 53 000, il faut regarder les deux chiffres »

Le patriotisme industriel n’existe pas, c’est ce que concluent avec beaucoup d’amertume la centaine d’employés de la chocolaterie Poulain à Blois. Puisque leur usine doit fermer, c’est prévu, ils s’y opposent, ils ont manifesté contre, hier.

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La chocolaterie Poulain de Blois est menacée de fermeture. "C'est l'héritage des Français, le chocolat Poulain"», affirment les salariés qui ont manifesté, samedi 22 juin, contre la fermeture de leur usine.  (JDUTAC / MAXPPP)

Le patriotisme industriel n’existe pas, affirment la centaine d’employés de la chocolaterie Poulain, usine qui va fermer. Décision à laquelle ils s’opposent. Une question sociale que nous décryptons avec le sociologue Jean Viard.

Que dire du patriotisme industriel, alors que justement une chocolaterie fondée en 1848, dont les volumes de production diminuent, mais le site reste rentable, expliquent les syndicats, à quand bon un site comme celui-ci doit fermer.

franceinfo : Ce combat des salariés est très important pour leur emploi, est-il aussi très symbolique aujourd’hui ?

Jean Viard : Oui, ce sont alors de grandes marques qui constituent l’identité française. Il existe des œuvres remarquables de Raphaël L Lorca qui dit : au fond, aujourd’hui, la marque France est plus portée par les grands groupes industriels – on vous dit la viande française, par exemple – que par des politiques qui n’ont plus de récits nationaux. Je pense donc que le rôle des marques dans la construction de l’appartenance nationale est essentiel. Poulain en fait absolument partie. La deuxième chose est que le chocolat est en train de disparaître de la planète. Nous avons un énorme problème avec la production de chocolat avec le réchauffement climatique. C’est complètement antagoniste.

Les prix augmentent donc…

Les prix augmentent, alors peut-être qu’on pourrait planter du chocolat ailleurs, je ne suis pas agriculteur mais pour le moment, ce n’est pas possible. Nous sommes donc dans un blocage de ressources. En revanche, effectivement, nous sommes dans un autre blocage, c’est que beaucoup de gens font attention à leur taille, à leur poids, et donc tout ce qui est sucré diminue. Tout cela est inclus dans le dossier, car je ne veux pas intervenir dans la société elle-même qui est clairement incapable de se re-stabiliser.

Les volumes baissent, les syndicats l’admettent, mais dans les faits, apparemment, le chantier reste rentable. C’est ce qui le défend…

Après, quand on me fait de grands discours sur le patriotisme industriel, j’ai une vieille technique de sociologue : je vais toujours au parking, et je regarde d’où viennent les voitures. J’aime qu’on me parle de patriotisme industriel, mais les voitures sont-elles fabriquées en France ou en Europe ? Ce n’est souvent pas le cas. Je pose cette question parce qu’on peut défendre des causes, mais il faut aussi les vivre. Les marques existent-elles ? Oui, je pense qu’elles existent, oui, les marques renvoient une image qui n’est pas forcément nationale, qui est peut-être aussi l’image d’un groupe social.

Regardez l’image qu’avaient les voitures italiennes par exemple, on disait toujours qu’elles ne sont pas très solides, mais elles sont tellement belles… Et chacune était dans sa caricature culturelle. Donc les marques contribuent aux identités nationales, bien sûr, j’ai pris l’exemple de l’automobile parce que c’est ce que tout le monde sait. Je pense que Poulain c’est la même chose. Après, ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’en réalité, la plupart des entreprises, on ne sait pas à qui elles appartiennent, si elles appartiennent à des actions, c’est mondialisé. La vérité est donc que la marque peut rester française et que l’entreprise ne soit pas française.

Dans ce cas, Poulain appartient désormais à un fonds d’investissement, mais cela reste une marque française. Le patriotisme industriel part-il du consommateur ? Pour le chocolat, pour les verres Duralex aussi, on sait qu’à la verrerie Duralex à Orléans, il y a cette bagarre, c’était la semaine dernière aussi, entre les grandes marques qui parlent à tous les Français. C’est aux Français d’acheter du français dans ces cas-là, s’ils le veulent ?

Disons que c’est un des éléments, je pense que ça joue un peu à la marge. Si on sait qu’un chocolat est français, qu’ils ont bien communiqué là-dessus, peut-être avant les vacances de Pâques, ils peuvent gagner quelques parts de marché, mais je pense que ce n’est qu’un critère parmi d’autres. Je voudrais juste donner un chiffre. Nous avons créé 1 million d’entreprises en France l’année dernière. Nous en avons fermé 53 000. Vous devez voir les deux chiffres.

Alors pourquoi ? Parce que nous multiplions les entreprises individuelles, bien sûr. Mais le mouvement n’est pas pour le moment un mouvement de pertes d’entreprises, et c’est pour cela que je me suis amusé à rapprocher ces deux chiffres. C’est à dire qu’ils créent beaucoup d’entreprises dans des secteurs nouveaux, ils les ferment dans des secteurs en crise, notamment tout ce qui touche à l’automobile, puisqu’on se dirige vers la voiture électrique, puis vers l’alimentation car on mange différemment. .

Par contre, la bière monte par exemple, et le vin baisse, le vin rouge est un marché animé. Je suis particulièrement sensible aux travailleurs, aux gens qui travaillent dans ces entreprises. C’est un vrai sujet. Après, à mesure que l’entreprise évolue dans la mondialisation, je ne pense pas qu’on puisse y faire grand-chose.

En effet, nous avons entendu ces salariés hier dans les reportages, certains ont passé toute leur vie chez Poulain, ils démontrent leur attachement à une institution, un lieu, une usine, une marque qui finit par passer de main en main. Y a-t-il là un véritable paradoxe, dans l’attachement qu’on peut avoir à quelque chose, qui finit par s’évaporer avec le temps ?

Nous sommes dans une société de discontinuité. Le problème c’est qu’on veut les choisir, les discontinuités. Et quand on nous les impose, si l’entreprise décide de s’installer dans un pays où la main d’œuvre est moins chère, c’est une attaque très violente. Et c’est vrai que c’est une grande douleur. Donc ces gens méritent d’être accompagnés, évidemment, mais nous sommes dans ce monde de discontinuité, et je ne pense pas qu’on va s’en sortir.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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