Le Nouveau Front populaire, un solide « programme de rupture » ?
Le projet du Nouveau Front Populaire (NFP) est avant tout économique et social. Il veut aussi être un « programme révolutionnaire » » le prétendait-il, bien plus à gauche que celui de François Hollande ne l’était en 2012. Pas moins de 150 milliards d’euros de dépenses nouvelles sont prévus. Pour un négociateur écologiste, ce choix d’aller vers un « programme révolutionnaire » ambitieux a été enregistré le lendemain de la dissolution.
Ce virage à gauche n’est pas propre à la France : aux États-Unis, Joe Biden mène une politique plus progressiste que Barack Obama, et laisse filer les déficits. Emmanuel Macron lui-même s’est fortement appuyé sur les dépenses publiques pour répondre aux crises sanitaire puis énergétique. Mais le modèle revendiqué par ce Nouveau Front Populaire est espagnol. Pour l’élu parisien Maxime Sauvage, l’un des négociateurs socialistes, « Pedro Sánchez a montré qu’il était possible de mener une politique sociale ambitieuse, par exemple en augmentant le salaire minimum de 50 %. »
Le projet NFP appelle à renforcer les services publics et à ce que l’État redevienne le moteur de la vie économique et sociale. Ces choix politiques seront coûteux. Mais pour un négociateur, « nous sommes partis des besoins. Vient ensuite la question des recettes fiscales.». La gauche soutient la hausse des impôts, avec une réforme fiscale qui ciblera la richesse, rendra la CSG et l’impôt sur le revenu plus progressifs et conditionnera les aides aux entreprises. Des propositions avancées ces dernières années par des économistes de gauche, comme Thomas Piketty. Ce dernier a parlé d’un « retour de la justice sociale et fiscale ». Pour Maxime Sauvage, « nous réclamons ce réarmement fiscal, alors qu’Emmanuel Macron a appauvri l’État en supprimant 50 milliards d’euros d’impôts pour des raisons très idéologiques ».
Sur le plan économique, le programme revient aux recettes keynésiennes classiques, abandonnées dans les années 1980 et 1990. Contre l’inflation, le NFP envisage même de rétablir l’indexation des salaires à l’inflation, supprimée par François Mitterrand en 1983 au tournant de la rigueur. « Nous sommes loin d’un projet en baisse », grince un écologiste.
Car derrière les enjeux économiques et sociaux, le programme environnemental passe au second plan. Le sujet du nucléaire est, notamment, soigneusement évité, au moment où Emmanuel Macron veut relancer la construction de centrales électriques. Un refus de départager les écologistes et les rebelles antinucléaires et communistes qui soutiennent cette énergie. Les questions sociétales sont également moins ciblées que dans le programme 2022. Le texte reste ainsi muet sur la question de la fin de la vie. Pour Hadrien Clouet, négociateur de La France insoumise, « Si l’on parle d’abord de l’économique et du social, c’est que c’est là que réside l’urgence. »
Un compromis né de négociations expresses
Si les négociateurs se sont rapidement accordés sur l’idée d’un projet de rupture en matière économique et sociale, d’autres aspects du « contrat législatif » ont été plus vivement débattus. Avec comme contrainte, des délais très courts : cinq jours pour élaborer un projet sur cinq ans, alors que les débats avaient été vifs ces derniers mois entre forces de gauche, notamment sur l’antisémitisme ou Gaza. Car contrairement aux pays où le scrutin est proportionnel, le scrutin majoritaire à deux tours impose aux partis français de former une alliance avant le vote.
En 2022, les conditions de l’alliance avaient été dictées par les Rebelles. Cette fois, le bon score de la liste Glucksmann aux européennes justifie un rééquilibrage. L’essentiel s’est joué entre les négociateurs PS et LFI, ce qui explique aussi la prédominance des questions sociales. Le PS a ainsi imposé le non départ du programme Nupes 2022.
Ce contrat a permis de se mettre d’accord sur plusieurs points et d’éclairer les récentes polémiques. « Cela explique pourquoi notre programme est bien plus long que ceux de Renaissance ou du RN », justifie un cadre socialiste. Car les négociateurs ont d’abord abordé les sujets qui fâchent : l’antisémitisme, Gaza, le respect des traités européens et la guerre en Ukraine.
Concernant l’antisémitisme, plusieurs propos tenus par les Insoumis ont durablement terni l’image du Nupes. Les socialistes ont insisté sur ce sujet. La lutte contre le racisme et l’antisémitisme fait l’objet d’une page entière de l’émission. A la demande des Insoumis, la lutte contre l’islamophobie y apparaît aussi, au même niveau. Gaza fait également l’objet d’une pleine page. Ici aussi, le compromis est le résultat de négociations étroites. Concession faite par les rebelles, le projet qualifie ainsi les massacres du Hamas de « les terroristes ».
L’autre sujet international qui divise est la guerre en Ukraine. Le texte évoque le « livraison des armes nécessaires » en Ukraine et le soutien à « l’intégrité de ses frontières ». La proposition de sortie progressive de l’Otan, qui figurait dans le programme Nupes 2022, a disparu. Autre évolution : il y a deux ans, le projet parlait de non-respect de certaines règles européennes. A la demande socialiste, cette notion de désobéissance radicale aux traités européens a disparu, même si le Nouveau Front Populaire « veut refuser le pacte budgétaire ainsi que le droit de la concurrence quand il remet en cause les services publics ». Des volontés qui compliqueraient les relations avec la Commission européenne, alors que cette dernière vient d’engager la première étape de la procédure de déficit excessif contre la France.
La pérennité d’un projet disruptif
Le reste du programme est constitué de mesures issues souvent des travaux de l’intergroupe Nupes de l’Assemblée nationale. Pour l’insoumis Hadrien Clouet, « Ce projet est le patrimoine commun de la gauche. C’est ce qui nous rassemble. Il n’y a rien que nous n’aurions signé, que nous ne puissions assumer. » Pour le politologue Rémi Lefebvre, « Si le programme n’est pas si original, ce n’est pas là ce qui est décisif dans la mobilisation. La négociation programmatique a servi à créer un rapport de force entre les groupes et à neutraliser certaines critiques adressées à l’ex-Nupes et à ses composantes. » Le programme est avant tout un moyen de justifier le syndicat et de lancer la campagne.
Si ce » contrat législatif » a permis à la gauche de s’unir, encore faudra-t-il convaincre les électeurs de sa pérennité. La viabilité budgétaire d’abord. Durabilité politique donc, à l’heure où cette union montre déjà des signes de fragilité.
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Anciens syndicats de gauche
2022. La Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (Nupes) regroupe LFI, EELV, le PS, le PCF et Génération-s. Aux élections législatives, elle a présenté un programme de 650 mesures, dont le gel des prix, le salaire minimum à 1 500 € ou encore le retour de la retraite à 60 ans.
1997. La gauche plurielle rassemble le PS, les Verts, le PCF, les Radicaux de gauche et le Mouvement citoyen, de Jean-Pierre Chevènement. Construit dans l’urgence après la dissolution de l’Assemblée par Jacques Chirac, il mettra en œuvre la semaine des 35 heures et la création d’« emplois jeunes » une fois au pouvoir.
1972. Le PS, le Parti communiste et les radicaux de gauche signent un « programme commun de gouvernement », qui servira de base aux propositions de François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981. Parmi eux : l’abolition de la peine de mort, la majorité à 18 ans, les nationalisations et la semaine des 39 heures.
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