En obligeant ses coureurs à ne pas rouler à l’avant du peloton tout en restant vigilant, puis en ordonnant à Christophe Laporte d’arrêter les relais derrière Valentin Madouas, Thomas Voeckler a signé un nouveau coup tactique gagnant, sans oreillettes, offrant deux médailles olympiques historiques à l’équipe de France de cyclisme sur route, ce samedi 3 août 2024.
Il n’a pas encore la longévité de Didier Deschamps (depuis 2012) dans le football, ni de Vincent Collet dans le basket (depuis 2009) mais Thomas Voeckler s’impose déjà comme l’un des grands sélectionneurs du sport français. Nommé en 2019 pour succéder à Cyrille Guimard, l’ancien coureur a apporté les deux premières médailles olympiques au cyclisme sur route de l’ère professionnelle, ce samedi. Il y en a eu sept (dont quatre titres) dont le dernier remonte à 1958. En argent et en bronze, Valentin Madouas et Christophe Laporte ont dépoussiéré les étagères et complété le palmarès de Voeckler à la tête des Bleus.
Pas de favori, pas de travail en tête du peloton
Il y a bien sûr eu les deux titres mondiaux de Julian Alaphilippe (2020, 2021), mais aussi la deuxième place de Christophe Laporte (2023) et le titre de champion d’Europe de ce dernier en 2023, ajoutés à celui du relais mixte. Sans oublier le bronze européen de Benoit Cosnefroy quelques semaines après son échec aux Jeux de Tokyo. Trois ans plus tard, l’ancien porteur du Maillot Jaune sur le Tour de France signait le plan parfait derrière l’intouchable Remco Evenepoel, en or.
« Aujourd’hui, le plus fort a gagné et ensuite les gars auront une médaille d’argent et de bronze », savoure-t-il. « J’étais convaincu que c’était possible. Il faut savourer car le cyclisme est dur. Il y a très peu de délais et c’est beaucoup de préparation mentale et logistique et un investissement que je fais avec mes tripes et ma tête. »
« Beaucoup de gens se moquent de moi et disent : « Que va-t-il dire ? » Je n’ai rien dit, rien du tout. »
« On a fait ce qu’il fallait faire et ça nous a permis d’être deuxième et troisième, mais ça aurait pu nous permettre d’être septième, huitième, dixième ou quinzième. Aujourd’hui, ça a plus que fonctionné et ça fait deux médailles aux Jeux Olympiques à domicile sans regrets car c’est le plus fort qui a gagné. Même tout seul, il aurait été champion olympique. »
Il assure n’avoir « rien changé » à son plan initial, basé sur l’hypothèse que le favori de la course de la course n’était pas dans son équipe. « L’idée était donc de ne pas travailler en tête de peloton pour ne pas griller un gars », explique-t-il. Il a alors pleinement assumé de laisser la première échappée prendre un quart d’heure d’avance sans participer à la poursuite. « Chez nous, il faut avoir un peu de caractère pour prendre cette décision que j’avais déjà prise au moment de la sélection », assure-t-il. « Après, ça s’est moins bien passé et franchement ils ont tout fait comme prévu : créer du mouvement sans se sacrifier et puis surtout être vigilants. »
L’attaque de Madouas était planifiée
Puis Valentin Madouas est passé à l’action en s’échappant du peloton avec des gros coureurs comme l’Allemand Nils Politt. « Le coup que Valentin fait, c’est écrit, c’est ‘ça va arriver et si ce n’est pas dans les bosses, ça va se passer comme ça’. On ne peut pas juste subir, il faut l’accompagner, ça aurait pu être Kevin juste avant et sur le dernier circuit, il y avait une hiérarchie, des consignes et je les ai données. »
Madouas confirme cet échange. « Je vais voir Thomas, je vais chercher à boire, je savais que ça pouvait sortir dans ces moments-là, parce que je voyais Remco qui essayait de mettre des petites attaques à chaque fois dans les montées, je me suis dit que c’était dans les moments de transition que ça allait sortir », explique le Breton. « J’y vais sur un moment de plat avec un peu d’élan et je vois qu’on est avec de bons coureurs, je me suis dit, c’est bien. On tourne bien pour prendre un peu d’avance. »
Remco Evenepoel a ensuite rejoint ce groupe et Valentin Madouas a été le seul à suivre. « Il montait toutes les côtes à pleine vitesse pour me faire casser », poursuit le Français. « Au bout d’un moment, il a lâché et c’était de la gestion pour moi, j’ai essayé de m’accrocher dans la tête car les jambes ne répondaient plus. »
Laporte prié d’arrêter de conduire
Le coureur de la Groupama-FDJ a tenu seul une quinzaine de kilomètres. En partie grâce aux consignes données par Voeckler à Christophe Laporte dans un groupe qui courait après lui après les patates. Sans oreillette, ce dernier n’a pas été au courant de la situation à l’avant et a participé aux relais de ce groupe, contribuant à réduire l’écart avec son partenaire. « L’information que je voulais qu’il ait, c’est qu’il lui était interdit de rouler parce qu’au début, je voyais qu’il passait (les relais) », explique Voeckler. « Derrière la télé, c’est facile de dire ‘ah ben pourquoi il roule ?’. Quand on est à Montmartre, dans le truc, il est dans un groupe… Mais il sait très bien que si un assistant lui interdit de rouler, c’est moi qui parle, qu’il y a une bonne raison. »
Laporte a exécuté après avoir mené sa première partie du plan en se débarrassant de gros noms comme Wout van Aert et Mathieu Van der Poel. « On s’est un peu détachés d’eux avec Matteo (Jorgenson, son équipier chez Visma-Lease a Bike) au deuxième passage et quand on est revenu sur le plat, j’ai dit à Matteo, ‘prends ma roue, on va monter à deux’, ça a marché et on est revenu dans un groupe qui chassait les patates. Je n’ai pas trop roulé non plus car Valentin était là mais j’ai tenu un peu, on ne sait jamais comment Valentin se sent car il était avec Remco. Quand on est arrivé au dernier col de Montmartre, ils m’ont dit de ne pas rouler du tout donc je savais que Valentin allait jouer une médaille ou quelque chose comme ça. Mais sachant laquelle, je ne le savais pas ? » Lui-même ne savait pas qu’il avait gagné le bronze en franchissant la ligne d’arrivée.
Voeckler savoure son succès et son choix de ne pas sélectionner les coureurs en fonction du classement mondial, après avoir notamment choisi de ne pas sélectionner Benoit Cosnefroy. « Avant de parler tactique et avant de venir ici, je leur ai juste demandé une chose, c’est de me faire confiance car j’étais convaincu de la seule façon d’y arriver, conclut Voeckler. Faire deux et trois, c’est le bonus. Je n’ai aucun problème à dire que je suis fier. Bien sûr, ce sont eux qui pédalent mais je me suis creusé la tête, je me suis mis en danger aussi, je leur ai donné toute la force que j’avais en moi, à ma façon. » Et cela porte ses fruits depuis cinq ans.