le moment de vérité en garde à vue
Chaque travail a ses petites routines. Chez les enquêteurs du Service interministériel de police judiciaire (SIPJ) de Rouen, celui des premiers matins de l’interpellation et de la garde à vue est immuable.
Cela commence alors que la nuit enveloppe encore le commissariat, sous la lumière pâle de la salle de repos, parmi les cartons de friandises, les frigos et les affiches syndicales.
Pour les policiers, c’est l’heure du dernier bilan détaillé de l’opération, une tasse de café fumante sur les lèvres.
Au menu ce mardi huit heures « cibles ». Huit personnes présentes dans un appartement de la banlieue de Rouen la nuit où il a été réduit en fumée par un incendie parti d’une poubelle. Un jeune père de famille est mort, la PJ enquête.
« Tout ce dont nous disposons pour l’instant, ce sont des récits peu clairs qui suggèrent un acte de représailles »déclare Patrick, major de la brigade criminelle. « L’idée c’est de secouer un peu tout le monde pour voir ce qui sort ».
Les gilets pare-balles et anti-rayures s’ajustent. Zip, les armes sont glissées dans leur étui. Clac, les portières de la voiture se ferment. Départ en cortège aux premières lueurs de l’aube.
Deux heures plus tard, rentrez chez vous. Surpris en sautant du lit, les suspects sont placés en cellule jusqu’à leur mise en garde à vue. « bertillonneur » – photographie sur la chaise inventée au XIXème siècle par le célèbre criminologue Alphonse Bertillon – prendre leurs empreintes et mijoter un peu.
Leur garde – GAV, prononcez « en peluche » – commencé.
« Faire naître la vérité »
La fiction a illustré sous tous les angles ces affrontements entre flics et suspects, ces chocs de personnalités, ces duels psychologiques qui permettent souvent de dévoiler la vérité policière d’une affaire.
A l’évocation de ces parenthèses de quarante-huit heures maximum – quatre-vingt-seize heures en matière de terrorisme, de trafic de drogue ou de crime organisé – les yeux des PJistes normands pétillent, leurs propos se mélangent.
« Moment de vérité », « résultat » pour certains. « Jeu du chat et de la souris » pour les autres.
« C’est mon moment préféré »raconte Elodie, depuis six ans dans la brigade criminelle. « La garde à vue est lourde, elle doit permettre de révéler la vérité ».
« Si on veut que ça marche, il faut créer un lien pour que le suspect parle »explique Patrick, « cela donne la possibilité à l’enquêteur de tirer les ficelles, de pointer des contradictions, de révéler des preuves ».
Pour gagner la confiance du suspect, chaque flic a sa recette préférée.
« Ma première question est toujours : ‘Pouvons-nous parler de manière informelle ?’ Il faut faire tomber les barrières »dévoile Élodie. « Après, je m’adapte. Parfois j’utilise des mots durs, parfois des sentiments. Et j’observe comment le suspect réagit, lorsqu’il commence à baisser les yeux, à répondre de côté… »
« Avant, mon truc, c’était les voleurs »se souvient Patrick, qui a étudié à « l’anti-gang ».
« J’ai réussi à les faire parler en faisant copain-copain », poursuit le majeur. Mais quand je suis passé au crime, plus rien. J’ai changé ma méthode en comprenant qu’on n’avoue pas un meurtre comme un vol.
Course contre le temps
Chaque garde à vue est une bataille, un bras de fer au cours duquel les policiers avancent progressivement leurs charges, selon un scénario parfaitement orchestré.
Deux ans avant sa retraite, le Commandant Myriam MP a effectué l’essentiel de sa carrière au sein du « financier ». Elle adore être sous la garde des patrons, des banquiers ou des élus.
« C’est très stimulant de les affronter en garde à vue. Mais ce sont des spécialistes, il ne faut pas passer à côté »elle prévient, « donc nous préparons tous nos interrogatoires dans les moindres détails ».
« Nous savons exactement où nous voulons aller »est d’accord avec son homologue du « crime »Nicolas. « Mais quarante-huit heures, c’est très, très court. C’est une course constante ».
Une course semée d’embûches. D’abord la procédure, très chronophage. Et, depuis 2011, la présence permanente d’un avocat qui, même s’il n’a pas le droit d’intervenir, a changé les règles du jeu.
« On nous a fait comprendre qu’on empiétait un peu trop sur les droits de la défense »Patrick grogne. « Avant que certains flics ne fassent quoi que ce soit, c’est vrai. Maintenant, nous ne pouvons plus faire grand-chose… »
« C’est étonnant que la police ne considère toujours pas notre présence comme normale ! »étouffe en retour Me Fabien Picchiottino.
« Depuis que nous sommes ici, il y a moins de pression et moins de mensonges pour faire craquer nos clients et c’est tant mieux »poursuit l’avocat rouennais, « mais je peux vous garantir que la pression pour avouer existe toujours ».
» C’est moi «
Car c’est évidemment un objectif essentiel de la garde à vue. Même si les empreintes génétiques, la vidéosurveillance ou les preuves numériques sont devenues incontournables, les aveux d’un suspect restent le Graal des enquêteurs.
Elodie se souvient des aveux d’un meurtrier, il y a quelques années, qui l’ont marquée à jamais.
« C’était un enfant, mais dans un tel état d’étonnement qu’il ne se souvenait plus des faits. Dans un premier temps, il a refusé la conversation. Et puis, quand j’ai pris ses empreintes, il s’est mis à hyperventiler et il m’a juste dit : « C’est moi ». C’était le point culminant. Je savais que je n’avais pas tort. ».
« L’aveu est la satisfaction de l’enquêteur (…) une forme de ponctuation à tout ce qui a été écrit auparavant dans le rapport »confirme Nicolas. « Une enquête réussie, c’est trouver l’auteur mais aussi son mobile, réussir à expliquer pourquoi on en est arrivé là ».
Établissez les faits. Comprenez leurs motivations. Dans le cas de l’incendie qui les occupait ce jour-là, les enquêteurs sont encore très loin.
«Nous n’avons pas avancé d’un pouce»Patrick soupire, déçu, au deuxième soir d’audition de ses huit suspects. « Nous allons lever la garde à vue, le parquet va ouvrir une information judiciaire. C’est très frustrant, mais nous n’abandonnerons pas. ».
De son dossier, le major a sorti une photo d’un cadavre calciné. « Une mère a perdu son fils. Et elle m’appelle tous les mois pour savoir comment se déroule l’enquête. Je suis son seul lien avec la mort de son fils”il ajoute, « donc je lui dois de tout faire ».