Le moineau, un maître spirituel ? La chronique de Martin Steffens
Contrairement au lion ou au bélier, c’est un symbole biblique que l’on peut croiser dans la rue : le moineau. Un symbole ? Quelle signification de si petites ailes pourraient-elles avoir ? Leur urbanité les rend invisibles. Il serait difficile de déchiffrer le moindre motif sur leurs plumes et d’imaginer une certaine présence en fonction de leur taille. On n’imaginerait pas les pères fondateurs américains hésitant entre le pygargue à tête blanche et le moineau. S’il apparaît en philosophie, c’est uniquement pour son art de… disparaître. Nietzsche admire cet être de lumière, qui vient alors récupérer quelques miettes « s’en va, s’envole, sans porter de nom dans son bec » (Aube, § 470). Le moineau est dans notre littérature comme dans nos villes : déjà ailleurs. Anonyme.
A la fois furtif et musical, conscient des pièges – mais chantant
La Bible le nomme : cippor, d’où vient le nom de la femme de Moïse, Séphora (Tippora). Si son apparence n’attire guère notre attention, son attitude devrait la susciter. Le moineau combine deux qualités considérées comme opposées : il est craintif (Hos 11, 11) et il est confiant (Ps 83, 3). Il saute et gazouille. A la fois furtif et musical, conscient des pièges – mais chantant. Anxieux sans inquiétude, il s’empresse de se mettre à l’abri mais sûr de trouver cet abri. Pourquoi craindre de vivre séparé de Dieu, demande le Psaume 83 (84), si le moineau lui-même trouve sa maison « et l’hirondelle un nid où pondre ses petits » ? Son regard en coin nous propose, juste avant de s’envoler, une question dont nous n’aurons jamais autre chose que le point d’interrogation. Une question qui ne demande rien. Qui se contente d’indiquer la première réponse, le « Parce que » des origines, quand Dieu a créé le monde pour rien, gratuit – et que déjà, bien avant l’homme et ses lourds soucis, l’idée d’y mettre les oiseaux du ciel lui est venue. Entre deux bonds, le moineau dit : Je suis là, me faufilant entre quelques pigeons, tu es là sur ton banc ; entre nous, cette miette est tombée du ciel et me voilà en train de m’en aller. Alors on se lève, confiants.
« Et vous valez plus que ces moineaux ! »
Jésus en a fait nos maîtres : si vous voulez vivre sans souci, n’ayez que la crainte « le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6, 33), et le reste nous sera donné comme les miettes qui tombent du banc où Dieu était assis, en ce septième jour de l’Histoire universelle. Sören Kierkegaard, dans son Discours chrétiens, admirait le geste de Jésus : quel meilleur maître pour nous dire chaque matin de ne pas trop nous inquiéter (Mt 6,26) ? Aucun professeur n’a assez de force pour répéter sa leçon sans se fatiguer, ni assez de patience pour ne pas se mettre en colère.
Les moineaux sont pris dans des filets (Am 3 : 5). Tout mouvement brusque les ferait fuir. Une poigne inquiète les enverrait au Ciel… Rien ne sert de serrer : il faut accueillir. Ces moineaux qui sont ensuite vendus sur le marché de Jérusalem, le Christ les utilise comme un signe d’abandon filial. De qui devons-nous craindre ? Le Père seul (Mt, 10, 28-29 ; Lc 10, 5-6). Est-ce une peur servile ? Pas de confiance: « Ne vendons-nous pas cinq moineaux pour deux cents ? » Encore, « il n’y en a pas un qui tombe sans que mon Père soit avec lui » (littéralement : « sans mon père « ). « Et vous valez plus que ces moineaux ! »
Apprenons déjà à valoir autant qu’eux : que notre poids de peur et d’inquiétude soit égal à leur poids de chair !