le malaise de Johnny Depp, les menaces de la CGT et les craintes des dirigeants

Thierry Frémaux espérait sûrement une soirée d’ouverture où l’on n’aurait parlé que de films, du tapis rouge et de la programmation à venir. La glace. La météo de la semaine s’annonce maussade, le monde du cinéma exprime son inquiétude sur les plateformes, la CGT menace de couper le courant et la présence de Johnny Depp fait plus que grincer des dents. Résumé de la première journée.
Johnny Depp – Maïwenn, duo controversé
En choisissant le film « Jeanne du Barry » de Maïwenn pour la soirée d’ouverture, l’équipe du festival ne pouvait pas prévoir que la réalisatrice-productrice et actrice principale de ce film serait empêtrée dans une affaire d’agression contre Edwy Plenel. (qu’elle refuse de commenter pour le moment). En revanche, il était écrit d’avance que la présence de Johnny Depp serait au centre de toutes les attentions. A 59 ans, celui qui avait été exclu des plateaux de tournage lors de la saga judiciaire qui l’a opposé à son ex-femme Amber Heard pour violences conjugales, fait son grand retour. Et quel retour ! La montée des marches en soirée d’ouverture, un projet de film derrière la caméra avec Al Pacino et Pierre Niney et un gigantesque nouveau contrat (20 millions de dollars) pour Dior selon « Variety ».
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Si Maïwenn qualifie le choix de l’acteur pour son film de » preuve « , et si Thierry Frémaux affirme ne pas savoir » l’image de Johnny Depp aux USA » et ne pas être intéressé qu’à Depp en tant qu’acteur », sa présence à Cannes apparaît comme une réhabilitation qui n’est pas du tout du goût de tout le monde. Un collectif d’actrices et d’acteurs a dénoncé ce choix dans une tribune publiée mardi par « Libération »: « Nous sommes profondément indignés et refusons de garder le silence face aux positions politiques affichées par le Festival de Cannes »écrivent les signataires, dont Camille Chamoux, Roman Bohringer, Julie Gayet, Ophélie Bau ou Laure Calamy.
« Comment comprendre le choix (…) du Festival de choisir ce film, justement, pour son ouverture ? Le sentiment d’impunité qui s’en dégage nous fige »dénoncent également plusieurs collectifs comme 50/50, le Lab Femmes du Cinéma ou encore 1 000 faces.
Les supporters d’Amber Heard ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux sous le hashtag #CannesYouNot pour s’opposer à la venue de l’acteur à Cannes.
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Malgré tout, l’équipe de « Jeanne du Barry » a pu monter les marches sans encombre. Reste à savoir comment le film sera reçu par le public.
Maïwenn : « Jeanne du Barry, j’ai le sentiment d’avoir été choisie pour la défendre »
Vers des pièces complètement dans le noir ?
La CGT a également exprimé son indignation face au choix du film de Maïwenn en ouverture : « Choisir ce film envoie un message très clair : les violences morales, sexistes et sexuelles ne sont pas un sujet pour le Festival de Cannes ». De quoi pousser un peu plus le syndicat à mettre à exécution ses menaces de coupures d’électricité pendant le festival ? En tout cas, le mot d’ordre du syndicat est clair : « La CGT fait son cinéma à Cannes ». Si la préfecture a interdit toute manifestation autour de la Croisette, la CGT a déjà prévu diverses actions, dans le cadre de son opposition à la réforme des retraites.
Ainsi, vendredi 19 mai de 13h00 à 15h00, elle entend réunir les salariés du secteur hôtelier pour un rassemblement fixe, sur le parvis du Carlton, lieu privé exclu de l’interdiction prise par la préfecture .
Deux jours plus tard, dimanche 21 mai, à 11 heures, une manifestation déclarée, à l’appel d’un groupement intersyndical CGT, Solidaires, FSU et Unsa, se tiendra boulevard Carnot, hors du périmètre interdit. Cette manifestation visera la réforme des retraites mais aussi celle de l’assurance chômage et ses conséquences sur les intermittents du spectacle et les saisonniers, a indiqué un responsable local de la CGT, sans exclure « action surprise » pendant le festival.
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Le même dimanche 21 mai, à 22h00, la CGT annonce la projection « sur invitation »au Palais des Festivals, documentaire « Amor, Mujeres y Flores », un film de 1989 sur ces travailleurs colombiens victimes des pesticides dans l’industrie florale. A l’issue de ce film, diffusé à l’initiative du syndicat SPIAC-CGT et des collectifs 50/50 et Femmes devant la caméra, il y aura un débat sur « la place des femmes dans le monde du travail et au générique des films notamment ».
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Vers une grève des réalisateurs ?
Mais le vrai grand rendez-vous des réalisateurs n’a pas eu lieu à Cannes mardi mais dans un communiqué signé par quelque 500 professionnels du cinéma pour dénoncer l’ingérence de l’industrie sur leur travail artistique, « au nom de la rentabilité ». Les frères Dardenne, Jacques Audiard, Costa-Gavras, Nicole Garcia, Cédric Klapisch, les Toledano-Nakache, Alice Winocour… Réunis par la Société des réalisateurs de films (SRF), gardienne du cinéma d’auteur, ces artistes alertent dans ce texte ce « la diversité et la vitalité (du cinéma) sont de plus en plus fragilisées par certaines pratiques contraires aux principes fondamentaux du droit d’auteur et de la liberté de création »
Ils citent notamment « scénarios modifiés, (des) collaborateurs artistiques et castings imposés, (des) films modifiés au montage par les diffuseurs, (des) choix musicaux prescrits ».
Ces pratiques, « au nom de la rentabilité », « représentent immanquablement une forme de censure qui altère tout processus de création »ils disent.
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« Ils remettent en cause la liberté d’expérimentation et finissent par rendre l’auteur invisible, en se rapprochant dangereusement de la notion de « copyright » qui prévaut sur le marché américain ». Dans la tradition juridique américaine, contrairement à l’Europe, le réalisateur n’a pas le dernier mot et peut perdre le contrôle du destin de son œuvre.
En conséquence, les signataires affirment que la version finale du scénario, le titre du film, la version finale du montage ou encore le générique ne peuvent être modifiés sans l’accord de l’artiste. Des revendications qui font écho à la grève actuelle des scénaristes hollywoodiens. Va-t-on vers une grève des réalisateurs français ?
La compétition commence mercredi
Après « Jeanne du Barry », projeté hors compétition en ouverture du festival, place à la course à la Palme d’Or. Et c’est Hirokazu Kore-Eda qui ouvre le bal mercredi avec « Monster », histoire d’un drame qui se déroule en milieu scolaire. Le Japonais brigue un deuxième sacre après « Une affaire de famille », décerné en 2018. Suivra le film de Catherine Corsini, « Le Retour », qui sera forcément la deuxième polémique de ce festival. Le film avait été ajouté à la sélection à la dernière minute afin de pouvoir enquêter sur les conditions de réalisation du film. En cause : des soupçons de harcèlement et une irrégularité concernant une scène impliquant une comédienne mineure.
Et voici les 19 autres films en lice :
- « Club Zéro » de Jessica Hausner, un film sur la jeunesse, avec Mia Wasikowska dans le rôle d’une enseignante, qui tisse des liens très forts avec cinq de ses élèves.
- « La zone d’intérêt » de Jonathan Glazer, un film dont l’intrigue se déroule à Auschwitz, celle d’un officier nazi tombé amoureux de la femme du commandant du camp d’extermination.
- » Feuilles mortes « d’Aki Kaurismaki, une tragi-comédie sur la rencontre entre deux solitaires, par hasard, une nuit à Helsinki.
- « Les Filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania, un film « au bord de l’épreuve » selon Thierry Frémaux, sur une femme tunisienne confrontée à la disparition de deux de ses quatre filles.
- « Ville d’astéroïdes » de Wes Anderson, un film dont l’histoire se déroule dans une ville américaine fictive et qui réunit parents et élèves autour de concours scolaires.
- « Anatomie d’une chute » de Justine Triet, l’histoire d’une femme accusée du meurtre de son mari, avec dans le rôle-titre l’Allemande Sandra Hüller qui a conquis la Croisette en 2016 avec « Toni Erdmann ».
- « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti, l’histoire d’un réalisateur qui peine à tourner son dernier film.
- « La Chimère » d’Alice Rohrwacher, l’histoire d’un jeune archéologue mêlé à un groupe de pilleurs de tombes dans l’Italie des années 1980.
- « Herbes sèches » de Nuri Bilge Ceylan, un drame se déroulant en Anatolie au centre duquel un enseignant fait face à des accusations de harcèlement.
- » L’été dernier « de Catherine Breillat, l’histoire d’une mère dont la vie bascule suite à une liaison avec son beau-fils.
- « La Passion de Dodin Bouffant » de Tran Anh Hung, histoire adaptée d’un roman sur la gastronomie, avec Juliette Binoche et Benoît Magimel.
- » Ramasser « de Marco Bellocchio, l’histoire vraie d’Edgardo Mortara, un enfant juif de six ans enlevé par l’Église catholique et converti de force au XIXe siècle.
- « mai-décembre » de Todd Haynes, un drame sur un couple avec une importante différence d’âge.
- « Marque de feu » de Karim Aïnouz, un film d’époque à la cour des Tudors.
- « Le vieux chêne » de Ken Loach, l’histoire de la rencontre d’un propriétaire de pub et d’un réfugié syrien.
- Banel & Adama de Ramata-Toulaye Sy, une histoire d’amour absolu, confrontée aux conventions sociales, dans un village reculé du nord du Sénégal.
- « Jour parfait » de Wim Wenders, un film sur les toilettes publiques japonaises.
- » Jeunesse « de Wang Bing, un film sur la vie des ouvriers du textile dans une ville à 150 km de Shanghai.
- « Mouches noires » de Jean-Stéphane Sauvaire, un thriller sur deux médecins confrontés à la violence à New York.