Divertissement

Le maillot de bain, ou comment le ridicule peut naître de quelques centimètres de tissu

LLe soleil est enfin de retour. C’est l’heure du déjeuner dans un grand magasin. Une certaine effervescence règne dans les cabines d’essayage : il faut faire la queue et attendre son tour. Valentine, la vendeuse, ne sait plus où donner de la tête. Elle a reçu son nouveau stock en début de semaine : une-pièce, bikini, bandeau, balconnet, triangle, taille haute ou string, sportif, élégant, classique ou sexy, tendance…

LLe soleil est enfin de retour. C’est l’heure du déjeuner dans un grand magasin. Une certaine effervescence règne dans les cabines d’essayage : il faut faire la queue et attendre son tour. Valentine, la vendeuse, ne sait plus où donner de la tête. Elle a reçu son nouveau stock en début de semaine : versions « une-pièce », bikinis, bandeaux, balconnets, triangles, slips taille haute ou strings, sportifs, élégants, classiques ou sexy, découpes graphiques, accents de dentelle, détails bijoux, imprimés fleuris, imprimés léopard ou « total look » noir et blanc. Un choix vaste.

Le maillot de bain, un accessoire d'été redoutable mais indispensable.


Le maillot de bain, un accessoire d’été redoutable mais indispensable.

Pixabay

Valentine se doute déjà que les clientes qui vont défiler – jeunes, moins jeunes, seniors – vivront ce moment comme un calvaire. Un maillot de bain, elle le sait, se commande rarement en ligne. Les clientes doivent venir l’essayer. Et pour la plupart des gens, y compris elle-même, c’est un calvaire.

Pourtant, cela paraît simple à première vue. Entrer dans la cabine, tirer le rideau, se déshabiller. Mais Valentine sait que c’est tout sauf simple. Elle n’entend que des soupirs s’élever de ces lieux exigus éclairés par un spot à la lumière crue et pâle. Elle sait qu’il y a peu de place pour poser son sac, ses affaires. De plus, elle doit garder ses sous-vêtements pour des raisons d’hygiène, ce qui rend l’expérience encore moins confortable.

Le voilà, ce corps qui sort de l’hiver, souvent fatigué, affublé de quelques centimètres de tissu qui semblent soudain ridicules.

Il est là, ce corps qui sort de l’hiver, souvent fatigué, sans tonus, affublé de quelques centimètres de tissu qui semblent soudain ridicules et qu’il faut pourtant regarder en face. Un grand moment de solitude.

Elles ont un point commun, ces femmes, pense Valentine, en cherchant d’autres tailles pour ses clientes : elles se trouvent toutes moches. Elles détestent ce moment particulier. Les lamentations n’ont pas cessé et ne cesseront pas de toute la journée. Même la créature élancée de la cabine 5 : « Ma cellulite est trop visible, avec cette coupe », gémit-elle. « Quelle cellulite ? », pense Valentine, incrédule.

Dans le 6e, un mari accompagne sa femme. Assis sur un tabouret étroit, le dos au rideau, plongé dans l’écran de son téléphone portable, il semble épuisé. De temps en temps, une voix abattue lui dit qu’elle n’en peut plus. Que ce miroir doit être déformant, qu’elle ressemble à un monstre, à une baleine. Elle ne sait pas comment il fait. Il doit avoir honte d’elle.

Dans le 3e, une adolescente sanglote, tape du pied, refuse que sa mère passe sa tête derrière la canne pour la voir. Elle marmonne qu’elle est hideuse, qu’elle ne mettra pas les pieds sur la plage ou dans la piscine, qu’elle passera son temps à la maison à regarder des séries. La dame d’un certain âge de la cabine 2 est finalement celle qui prend tout cela avec le plus de philosophie. Elle n’est pas pressée, choisit calmement, ne se plaint pas.

Valentine fait de son mieux pour rassurer ses clientes. Elle leur assure que ce modèle leur va bien, qu’il leur va bien, qu’il les rend belles, que la couleur est jolie sur le teint. Il faut faire attention, choisir ses mots avec soin. Elle a déjà été maladroite, sans le vouloir.

Le mari de la cabine numéro 6 semble au bout du rouleau. Il rend à Valentine tout un paquet de maillots de bain. Non, sa femme ne veut rien prendre. Puis il s’approche et lui confie à voix basse qu’il y a toujours un problème avec ces cabines.

Devant le visage perplexe de Valentine, il reprend rapidement. Non, il ne dit pas qu’ils sont sales ou mal entretenus. Mais il faudrait qu’il imagine un endroit plus confortable, plus accueillant, une lumière moins crue, voire des miroirs tamisés et amincissants. Il travaille dans la décoration, il sait ce qu’il fait. Selon lui, si les magasins faisaient plus d’efforts, les clients achèteraient plus de maillots de bain.

« Ce que propose ce monsieur est loin d’être stupide », sourit la vigoureuse vieille dame qui vient de choisir deux maillots de bain. « Mais j’ai un secret », confie-t-elle à Valentine. « Un tour. »

« Lequel, madame ? »

« Je prends toujours le même modèle et quand je me regarde, je souris à mon reflet. »

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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