Guillaume Néry parle avec affection de son « grande baignoire », la rade de Villefranche-sur-Mer, qui décline ses bleus à l’abri des deux caps, Nice et Ferrat. Un mouillage de rêve pour les yachts de luxe ? Pas seulement. Car ces vagues calmes et sereines cachent des profondeurs vertigineuses, avec des dénivelés de 200 mètres. C’est ici que Guillaume Néry a installé son école d’apnée. Ici qu’à l’initiative d’universitaires niçois, cette discipline s’est structurée. Ici que se sont déroulés les premiers championnats du monde en 1996, dans la vague lointaine d’un film culte.
« Le grand bleu a mis en lumière l’apnée. Mais son succès a donné aux apnéistes l’image de sociopathes défiant la mort », regrette Guillaume Néry. Lorsque ce long métrage sort en 1988, il a 6 ans. Il découvrira le film quelques années plus tard, avec sa classe, un jour de pluie, en lieu et place d’une séance de sport.
Une rivalité entre adolescents
Ce n’est pas le tournant qu’on pourrait imaginer. Mais on pense à la rivalité entre Enzo (Jean Reno) et Jacques (Jean-Marc Barr) lorsque Guillaume situe l’émergence de sa passion. Elle naît d’une soif de revanche après un match de tennis perdu contre un ami. A l’arrêt de bus, entre les deux adolescents, c’est à qui retiendra le plus longtemps son souffle. Enfant de la mer, le jeune Niçois finit par s’essayer à la plongée. Toujours plus profond, toujours plus loin. Avec seulement ses palmes, le long de la côte. » miette de pain « qui le relie au bateau, au monde des hommes.
Les compétitions s’enchaînent. Les records du monde aussi – quatre titres, dont le dernier, en 2015, est venu saluer une descente de 3 minutes et 19 secondes à – 126 mètres. Deux jours plus tard, le destin bascule. Guillaume Néry décide de plonger 3 mètres plus bas. Il descend, descend, redescend, grisé par l’ivresse des profondeurs qui se mue bientôt en un questionnement inquiet. Lorsqu’il regarde sa montre, elle affiche – 139 mètres ! Les organisateurs ont par erreur réglé le câble dix mètres plus bas. « Comme si nous demandions Usain Bolt courir le 100m en 9 secondes ! Une erreur improbable qui aurait pu être fatale à Guillaume Néry, récupéré, inconscient, par d’autres plongeurs.
Un sentiment de paix
Mais que personne ne lui dise qu’il recherche le danger. L’homme qui, dès l’âge de 4 ans, parcourait le Mercantour avec ses parents, est convaincu que courir en haute montagne comporte bien plus de risques que d’explorer les profondeurs de la mer. « À condition de prendre des précautions draconiennes en mer. » Ne pas s’y soumettre, c’est s’exposer à un danger qui a emporté deux de ses amis.
Après son accident, Guillaume Néry, alors âgé de 35 ans, a dit adieu à la compétition. Mais lorsque, surmontant ses peurs, il s’est aventuré à nouveau au fond, le plongeur a trouvé « un sentiment de paix, de communion avec le grand tout. » Celui qui prétend « athéisme et cartésianisme » ouvre la porte à la spiritualité : « Sous la mer, la solitude, la pression, le corps au ralenti, tout vous pousse à aller au plus profond de vous-même, à affronter le mystère de la vie. »
Héros d’un clip vidéo de Beyoncé
Mystère de la vie, beauté du vivant. Comme dans ce court métrage réalisé au large de l’île Maurice par son ex-compagne Julie Gautier. Guillaume Néry danse avec des cachalots, des colosses capables de livrer des combats sans merci à des calmars géants mais qui, face à lui, manifestent une curiosité débordante. « Celui d’un mammifère envers un autre mammifère », interprète l’apnéiste, que l’on voit aussi disparaître un instant derrière l’un de ces cétacés, érigé tel un mégalithe.
Artiste de la limite, Guillaume Néry incarne également le personnage principal d’un clip de Beyoncé, Courir dans lequel il court – littéralement – au fond de l’eau, à la poursuite de l’amour. Un souffle de liberté qui aura cruellement manqué à Guillaume Néry pendant le confinement, passé dans son appartement de Nice. « La mer était là, à portée de vue, inaccessible, multipliant un manque physiologique. » Après les retrouvailles, Guillaume Néry adressa à sa belle et frêle Méditerranée une lettre reproduite dans son dernier ouvrage (1). Une lettre d’amour, de reconnaissance, d’excuse aussi, au nom des hommes, « héritiers gâtés et inconscients du miracle »prompt à le vider de ses poissons, à l’agoniser avec du plastique et des pesticides.
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Son coin de mer : « L’atoll de Rangiroa et son cosmos sous-marin »
« Mondialement connu des plongeurs, l’atoll de Rangiroa en Polynésie possède une passe par laquelle, à marée haute, s’engouffrent l’océan et ses dauphins, raies manta et requins-marteaux. En apnée, sous la surface, j’ai pu me laisser porter par le courant entrant et observer les fonds marins défiler à grande vitesse. Passionné depuis toujours par l’espace, j’ai eu une vision : celle des passagers de la capsule Apollo 11 voyant la surface lunaire. C’est tout un monde imaginaire qui m’est revenu. Un monde imaginaire qui allait nourrir Gravité de l’océan, court métrage de Julie Gautier dans lequel j’évolue, tel un astronaute, dans un cosmos sous-marin.
(1) Nature aquatiqueArthaud, 16€.
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