Alors que Gérald Darmanin et Manuel Valls plaident pour une remise en cause de ce droit sur l’archipel, dévasté par le cyclone Chido et fragilisé par une crise migratoire, Élisabeth Borne juge que «d’autres mesures peuvent être prises».
Le dossier met déjà au défi la délicate cohésion du gouvernement, deux petites semaines après sa nomination. Dans une tribune dans Le Figaro, publiée samedi, Manuel Valls (Outre-Mer), Bruno Retailleau (Intérieur) et Sébastien Lecornu (Armées) ont annoncé des «mesures de fermeté» contre l’immigration à Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. Ce, alors qu’une première loi spéciale doit déjà être présentée mercredi en Conseil des ministres pour reconstruire l’archipel, 101e département français depuis 2011 et le plus pauvre de France.
La batterie de propositions, avancée par les trois ministres, devrait elle figurer dans un second projet de loi «travaillé en concertation avec les élus mahorais», ont-ils affirmé. Parmi les mesures d’urgence, ces derniers ont notamment évoqué la nécessité de revenir sur le droit du sol à Mayotte, fragilisée depuis plusieurs années par une grave crise migratoire. Une éventuelle suppression empêcherait aux enfants, nés de parents étrangers, d’obtenir la nationalité française – alors que l’île subit une pression migratoire venue des Comores voisines. «À Mayotte, on est, avec 12.000 naissances par an, la plus grosse maternité d’Europe. 90% des parturientes sont étrangères et c’est clairement le droit du sol que ces personnes visent», dénonçait en février dernier Estelle Youssoufa, députée Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) de Mayotte.
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Au chevet de l’archipel, le 30 décembre dernier, François Bayrou avait déjà relancé le débat, sans préciser la méthode qu’il comptait employer. «C’est une question qu’il faut poser, que j’avais posée dans une campagne présidentielle antérieure», avait-il déclaré. Une piste également encouragée par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin. «C’est évidemment la bonne voie», a-t-il plaidé ce lundi matin sur RTL.
Avant de rappeler qu’il avait lui-même demandé l’abrogation du droit du sol, un an plus tôt, du temps de son passage au ministère de l’Intérieur. «Il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même enfant de parents français, nous couperons l’attractivité qu’il y a dans l’archipel mahorais» , plaidait-il Gérald Darmanin en février dernier lors d’un déplacement sur l’île. Mais le projet n’avait pu être mené à son terme. «Je constate qu’il y a désormais beaucoup de convertis», a-t-il glissé, dans une allusion à peine voilée aux propos de Manuel Valls dans une tribune au Monde, en février dernier.
Le nouveau ministre des Outre-Mer jugeait à l’époque que «croire que le droit du sol est responsable de la situation insupportable que connaît Mayotte est une erreur d’analyse». Le même jour sur France inter, l’ancien socialiste prévenait même qu’une remise en cause de ce droit ouvrirait «une boîte de Pandore extrêmement dangereuse». Sa position a évolué.
«D’autres mesures peuvent être prises»
Malgré le revirement du numéro trois du gouvernement, les ministres peinent cependant à parler d’une même voix sur cette question inflammable. Invitée dimanche sur BFMTV, Élisabeth Borne a estimé a contrario de ses collègues que l’abolition du droit du sol n’était pas la «bonne voie». «D’autres mesures peuvent être prises», a avancé la ministre de l’Éducation nationale, dont la lutte contre «des reconnaissances de paternité frauduleuse».
Divisé en interne, le gouvernement devra avant tout trouver une majorité s’il entend réviser ce droit inscrit dans la Constitution. Y compris dans les rangs du camp présidentiel, encore traumatisés par l’adoption dans la douleur du projet de loi immigration en décembre 2023. Surtout, la suppression du droit du sol devrait être soumise à l’Assemblée nationale puis au Sénat, avant d’être votée à la majorité des 3/5 du Congrès. Une procédure longue et complexe qui pourrait décourager l’exécutif, sans majorité au Palais Bourbon.
Évasif sur le dossier, François Bayrou pourrait plutôt choisir de donner un nouveau tour de vis à l’accès au droit du sol à Mayotte. Depuis la loi asile et immigration de 2018, il est exigé pour les enfants nés sur l’archipel que l’un de ses parents ait, au jour de la naissance, résidé sur le territoire national depuis plus de trois mois et de manière régulière.