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« Le gouvernement Barnier devra être jugé sur ses actes et rien d’autre »


FIGAROVOX/TRIBUNE – Dette, sécurité, frontières, pouvoir d’achat, industrie, écoles… Le nouveau gouvernement, dont Michel Barnier vient d’annoncer la composition, devra être jugé sur sa capacité à traiter les grands dossiers, et non sur sa couleur politique, estime l’historien spécialiste de la Ve République.

Essayiste et historien, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019), récemment réédité dans la collection « Tempus ».


Le procès d’illégitimité qui est fait au gouvernement Barnier, notamment par la gauche du Nouveau Front populaire (NFP) et du Rassemblement national, ne repose sur aucun fondement. Nulle part dans la tradition républicaine française depuis 1870, il n’est écrit qu’en cas d’Assemblée nationale fragmentée, le chef de l’État nomme le premier ministre au sein de la coalition la moins minoritaire. En fait, le chef du gouvernement est toujours choisi en fonction des circonstances, en fonction de son acceptabilité par l’Assemblée nationale dans son ensemble, de la recherche d’un point d’équilibre et de sa capacité à gouverner en constituant lui-même des majorités. Exemple (parmi tant d’autres) : le 10 novembre 1946. Le Parti communiste remporte nettement les élections devant le MRP (centriste) et la SFIO (parti socialiste). Or, le chef du gouvernement désigné n’est pas le communiste Maurice Thorez, mais Léon Blum de la SFIO.

Sous la Ve République, l’hypothèse d’une Assemblée nationale fragmentée, sans majorité claire, ne s’était jamais produite et le scénario actuel ressemble bien plus aux modèles des IIIe et IVe Républiques qu’à celui de la Ve telle que nous l’avons connue jusqu’à présent. Mais il ne fait aucun doute que le choix du Premier ministre reste une prérogative souveraine du chef de l’État.

Le procès d’illégitimité du gouvernement de Michel Barnier est donc infondé. Mais il est tout aussi évident que sa position est infiniment précaire. La base politique du nouveau Premier ministre se limite à 47 députés de droite LR. Même si on les ajoute aux 168 députés macronistes, on est loin d’une majorité absolue. A tout moment, un vote commun du PFN de gauche et du Rassemblement national pourrait entraîner la chute de ce gouvernement de « bloc central », otage de sa gauche comme de sa droite.


La question de savoir s’il penche plutôt vers la gauche, le centre ou la droite est secondaire. La véritable question est sa volonté de s’attaquer concrètement aux grands défis du moment.

Maxime Tandonnet

Par ailleurs, la solidité du partenariat est hautement sujette à caution. Lors des débats parlementaires en vue de la loi sur l’immigration et l’intégration du 26 janvier 2024, les macronistes et la droite LR se sont violemment affrontés et les propositions de ces derniers ont été balayées. Dans quelle mesure ce partenariat sera-t-il viable à l’épreuve des faits ? Minoritaire, exposée à une forme de harcèlement à sa droite et à sa gauche, minée par ses fractures internes, dans quelle mesure le gouvernement Barnier sera-t-il viable et pourra-t-il gouverner et tenir ne serait-ce que quelques mois ? La question se pose évidemment.

Pourtant, la France se trouve dans une situation dramatique. Tous les voyants sont au rouge. La dette publique a augmenté d’un tiers en sept ans, passant de 2 000 à 3 200 milliards d’euros ; les prélèvements obligatoires (impôts, cotisations sociales) atteignent 44 % du PIB ; les statistiques d’immigration battent tous les records avec 320 000 premiers titres de séjour et 120 000 demandeurs d’asile en 2023 ; le chômage reste à un niveau élevé avec plus de 5,4 millions de demandeurs d’emploi selon France Travail (toutes catégories confondues) ; la pauvreté touche dix millions de personnes (Insee) et le RSA bénéficie à plus de deux millions de victimes de l’exclusion ; les niveaux d’éducation s’effondrent comme le révèlent les classements internationaux, 29e au classement Pisa en lecture et avant-dernier de l’OCDE en mathématiques selon Tims ; le déficit du commerce extérieur (86 milliards en 2023) traduit la désindustrialisation du pays. En 2023, les violences augmentent fortement (+7%), notamment les violences sexuelles (+8%) et les homicides continuent d’augmenter (+5%). Un climat délétère s’est installé.

Alors, la droite traditionnelle, d’un certain point de vue, pourrait bien donner le sentiment d’être tombée dans un piège en assumant le poids d’un tel bilan. En s’enchaînant à la Macronie, elle-même en plein désarroi, elle s’exposerait ainsi au reproche d’avoir abandonné le monopole de l’opposition de droite et les perspectives d’alternances au RN. Le poids prépondérant des ministres issus d’Ensemble – une dizaine sur seize – serait de nature à renforcer cette critique très compréhensible… Cette composition pourrait nourrir le sentiment que le chef de l’État et les macronistes restent aux commandes et que, malgré leur défaite électorale, « tout change parce que rien ne change ».

Pourtant, depuis la dissolution de juin 2024, jamais un tel niveau de déliquescence de la vie politique n’a été atteint… Considérons que depuis deux mois, dans un contexte aussi catastrophique, la France est privée de gouvernement… Les Français ne pourront jamais reprocher à Michel Barnier et à son gouvernement d’avoir tenté quelque chose pour sauver le pays, quelle que soit l’issue. D’ailleurs, pour l’instant, le nouveau Premier ministre n’est en aucun cas perçu par l’opinion publique comme un « collaborateur » du chef de l’État mais comme le véritable chef de l’exécutif. Son arrivée à Matignon est comprise par l’ensemble des Français comme le produit d’une crise de régime et non comme une allégeance à l’Élysée ou la continuation du macronisme sous d’autres formes. Elle place le Premier ministre au cœur du fonctionnement des institutions au détriment du présidentialisme. Selon le sondage Ifop-Fiducial, le Premier ministre est devenu en quelques jours la personnalité la plus populaire de France, avec 57% d’opinion favorable !

Paradoxalement, l’argument du manque de soutien démocratique du gouvernement Barnier, refrain obsessionnel des élites politiques et médiatiques, ne semble pas partagé par le peuple. Dans la crise et l’urgence, l’opinion entend donner sa chance au gouvernement Barnier – qu’elle n’associe pas au bilan du macronisme. L’enjeu pour le nouveau Premier ministre, avec son gouvernement, est justement de gagner un soutien démocratique ou populaire (ce qui est contesté) en réhabilitant le joli mot « confiance ». L’essentiel : prouver sa volonté de mettre un terme à la pathologie narcissique et à la communication obsessionnelle de la vie politique en réhabilitant l’intérêt général.

La question de savoir s’il penche plutôt à gauche, au centre ou à droite est secondaire. Le véritable enjeu est sa volonté de s’attaquer concrètement aux grands défis du moment – ​​dette, sécurité, autorité de l’État, contrôle des frontières, pouvoir d’achat, industrie, éducation – tout en marquant son indépendance par rapport à l’Élysée. Formé majoritairement de femmes ou d’hommes novices à leurs postes, y compris les plus sensibles (Intérieur, Économie), c’est à ses actes et seulement à ses actes – plutôt qu’à des préjugés discutables – que le nouveau gouvernement devra être jugé, en toute honnêteté. Quant aux élections de 2027, la situation semble tellement volatile, imprévisible et incertaine, l’opinion publique désorientée, que les stratégies et calculs personnels sur les deux ans et demi à venir semblent dénués de toute pertinence.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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