Cette histoire commence il y a cinquante-deux mille ans. Une femelle mammouth meurt dans ce qui est aujourd’hui la Sibérie. Son corps est presque instantanément gelé, aux températures de la dernière période glaciaire.
Elle rebondit en 2020, devant un ordinateur, dans un laboratoire de Barcelone, « Quelques jours avant que le monde ne s’arrête (en raison de la pandémie de Covid-19) », Selon la paléogénéticienne Marcela Sandoval-Velasco, co-première auteure d’une étude révolutionnaire, publié jeudi 11 juillet dans la revue scientifique Cellule. Ce jour-là, pour la première fois, l’écho informatique de « chromosomes fossiles ». « Ils ont réussi à reconstruire les chromosomes. C’est une avancée majeure ! »s’enthousiasme Eva-Maria Geigl, paléogénéticienne à l’Institut Jacques-Monod à Paris, qui n’a pas participé à l’étude.
Pour réussir cet exploit, il a fallu dix ans d’une aventure scientifique qui a réuni deux familles de généticiens : les paléogénéticiens, qui analysent l’ADN ancien, et les spécialistes de la génomique structurale. Ces derniers étudient l’architecture du génome. Dans le noyau de nos cellules, les chromosomes, constitués d’ADN et de protéines, ne sont pas pliés au hasard. Des régions physiquement proches interagissent entre elles, même si elles peuvent être très éloignées dans la séquence génétique. Comme deux chapitres éloignés du livre que constitue le génome, réunis par un lecteur qui plierait les pages qui les séparent. « Connaître la structure tridimensionnelle du génome suffit pour avoir une image de l’activité des gènes »affirme Marc Marti-Renom, chercheur spécialisé en génomique structurale au Centre national d’analyse génomique de Barcelone et co-auteur de l’étude.
Jusqu’à présent, les paléogénéticiens sont restés bloqués dans une dimension linéaire. Car l’ADN ancien apparaît généralement sous forme de très petites miettes. Et son analyse consiste à observer des variations dans la séquence génétique, des mutations. « Ce que les mutations vous disent, c’est ce dont votre génome est capable, mais elles ne vous disent pas ce qu’il fait. »explique Régis Debruyne, ingénieur de recherche en paléogénétique au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Mais les auteurs de cette étude ont eu une intuition : l’architecture tridimensionnelle des chromosomes pouvait, dans certains cas, être préservée. Et c’est ce mammouth, retrouvé dans le permafrost, ce sol perpétuellement gelé, par une expédition scientifique en 2018, qui l’a confirmé.
Il vous reste 64.28% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.