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Le gendarme de l’audiovisuel réaffirme l’exigence du débat contradictoire

Le gendarme de l’audiovisuel réaffirme l’exigence du débat contradictoire

Mercredi 10 juillet, l’Arcom a annoncé qu’elle infligeait deux amendes à la chaîne CNews, propriété du groupe Bolloré. La première, d’un montant de 60 000 euros, s’explique par des propos tenus dans l’émission « La matinale week-end » le 10 décembre 2023. Dans le cadre d’un débat sur l’immigration puis d’un segment sur le Rassemblement national (RN), deux invités ont soutenu ce jour-là que « l’immigration tue », Et ça  » sans aucune réaction de l’animateur ou des autres personnes présentes sur le plateau »souligne le gendarme de l’audiovisuel. Pour ce dernier, la formule incite à la haine et aux comportements discriminatoires dans la mesure où elle présente « Les personnes d’origine immigrée, dans leur ensemble, comme facteur de risque de décès ».

La deuxième amende, de 20 000 €, concerne l’émission « Punchline été » du 8 août 2023. Dans une séquence consacrée aux températures élevées enregistrées en juillet 2023, un intervenant soutient que « Le réchauffement climatique anthropique est un mensonge, une arnaque. » Et ce dernier continua : « Le climat a toujours changé, il continuera à changer, mais nous expliquer que c’est à cause de l’homme, non, c’est un complot. » Ici aussi, Arcom déplore l’absence de « réaction des autres personnes sur le plateau ».

► Sur quelles bases juridiques s’appuie Arcom ?

La décision de sanctionner CNews dans l’affaire de la peine sur l’immigration s’appuie notamment sur la loi de septembre 1986 sur la liberté de communication. Cette loi impose à l’Arcom de s’assurer que les programmes ne contiennent pas d’incitation à la haine ou à la violence. Aussi, le gendarme de l’audiovisuel renvoie à la convention qu’il a conclue avec la chaîne en novembre 2019. En la signant, CNews s’est engagée à maintenir « en toutes circonstances, maîtrise de votre antenne »Autrement dit, ne pas laisser s’exprimer sans réaction des propos contraires à la loi, comme ce fut le cas le 10 décembre 2023 dans « La matinale week-end ».

Dans le cas de la deuxième amende, ce n’est pas tant la négation du réchauffement climatique que l’Arcom a sanctionné que l’absence de contradiction. En effet, en vertu de la loi sur la liberté de communication, « L’Arcom a l’obligation de « garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y contribuent » sur les chaînes audiovisuelles, rappelle Nicolas Hervieu, avocat spécialisé en droits de l’homme. Ces principes juridiques sont énoncés dans les accords qu’Arcom conclut avec chacune des chaînes lors de l’attribution de leur fréquence sur la TNT..

Que signifie ce principe d’honnêteté ? « Face à des sujets controversés, il est important de ne pas laisser une position unique être tenue pour acquise, sans rappeler qu’il existe des points de vue opposés.précise l’avocat. Les climato-sceptiques, par exemple, peuvent exprimer leur opinion. Cela fait partie de la liberté d’expression, dont Arcom est aussi garant. Le journaliste doit simplement contrebalancer ce point de vue en rappelant par exemple que les rapports du GIEC et de nombreux scientifiques estiment que le réchauffement climatique est avéré.

Bien que le scepticisme climatique ne soit pas au cœur de la décision de l’Arcom, les militants en faveur d’une meilleure couverture des questions climatiques dans les médias s’en réjouissent néanmoins. « C’est une grande victoirese réjouit Eva Morel, co-fondatrice de l’association QuotaClimat, à l’origine du reportage de CNews sur le sujet. Le régulateur fixe une limite entre le débat d’idées et la désinformation. A ses yeux, cette nouvelle décision renforce la jurisprudence initiée en mai dernier avec un avertissement (sans condamnation) de la station Sud Radio pour des propos climatosceptiques. Mais l’Arcom avait ensuite reproché à Sud Radio des déclarations venues « contredire ou minimiser le consensus scientifique sur le changement climatique »soulignant l’inexactitude des déclarations, et non l’absence de contradiction.

► Quelles sont les conséquences de ces décisions sur la liberté d’expression ?

Pour aller plus loin dans la lutte contre la désinformation climatique, certains députés et ONG environnementales, dont QuotaClimat, réclament une loi renforçant les pouvoirs de l’Arcom et créant un délit de minimisation de la crise écologique. Un projet qui, aux yeux de certains, pourrait fragiliser la liberté d’expression. Faire respecter les obligations auxquelles sont soumises les chaînes d’information sans affaiblir ce principe, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est justement le rôle délicat du gendarme de l’audiovisuel. Arcom a pris la mesure de son rôle démocratiqueanalyse l’historien de la presse Alexis Lévrier. Avec ces deux sanctions, ellemontre sa volonté d’élargir le spectre des sanctions et des déclarations qui engagent les dirigeants de ces chaînes. Ce faisant,elle remplit sa mission qui est de veiller au respect de l’honnêteté de l’information. »

« La défense de la liberté d’expression, droit fondamental, est également l’une des missions majeures de l’Arcom »rappelle l’avocat Nicolas Hervieu. Pour preuve, il cite une troisième décision de l’Arcom, également annoncée mercredi 10 juillet, de ne pas sanctionner des propos tenus par le leader d’un mouvement politique, en l’occurrence Éric Zemmour, le 15 novembre 2023, dans l’émission « L’heure des Pros 2 » sur CNews. Ce dernier a affirmé l’existence d’un conflit de civilisations dans le monde et sur le sol français provoqué par la « Civilisation arabo-musulmane »Assimilant islam et islamisme, il défendait la thèse d’une incompatibilité totale de l’islam avec la République, la présentant comme la matrice de l’antisémitisme et de l’homophobie et dénonçant les dangers présentés par la « Peuple musulman » Ou « Islamo-gauchiste » de l’immigration.

« Ces propos ont fait l’objet d’une forte contradiction, venant aussi bien du présentateur de l’émission que du reste des invités, qui ont notamment encouragé leur auteur à les modérer »a noté Arcom. Pour Nicolas Hervieu, cela a donc « a jugé que le débat s’était déroulé dans les limites admissibles de la liberté d’expression, sans préjudice d’une éventuelle qualification pénale des propos tenus par l’invité, dès lors qu’une contradiction était soulevée à son encontre. »

L’existence d’un débat contradictoire comme clé de l’équilibre entre régulation et liberté d’expression ? Pas si simple, selon l’historien Patrick Eveno, qui appelle à la prudence. « L’Arcom n’est ni une autorité judiciaire ni un conseil d’éthique, il prévient. Il faut se garder de s’aventurer dans le droit « doux » de la déontologie journalistique, qui n’est pas régi par des lois mais par des codes professionnels.D’autant qu’elle dispose d’autres moyens d’action, dont le plus fort, le renouvellement des fréquences, est devant nous. »

► CNews pourrait-elle perdre sa chaîne dans le cadre du renouvellement des fréquences de la TNT ?

L’annonce des sanctions de l’Arcom intervient dans un contexte d’enjeux importants pour CNews. Depuis lundi 8 juillet, le régulateur de l’audiovisuel auditionne les candidats à l’attribution de l’une des 15 fréquences TNT dont les autorisations de diffusion expirent à la fin de l’année. Or, la chaîne du groupe Canal+ fait partie des 24 prétendants.

Si la coïncidence des sanctions et de ces audiences est une coïncidence, « le comportement passé de l’éditeur est pris en compte »« C’est un fait, l’Arcom, qui doit rendre sa décision à la fin du mois, va se concentrer sur le respect ou non par la chaîne candidate de ses obligations », rapporte une source sous couvert d’anonymat. En d’autres termes, l’Arcom, qui doit rendre sa décision à la fin du mois, va se concentrer sur le respect ou non par la chaîne candidate de ses obligations. A cet égard, CNews, qui doit être auditionnée lundi 15 juillet, a une histoire. Avec C8, autre chaîne du groupe Canal+ candidate au renouvellement de sa fréquence et auditionnée mardi 9 juillet, elles ont fait l’objet d’au moins 44 avertissements, mises en demeure et amendes depuis 2012, selon une enquête du journal. Le monde. Un dossier que ces deux dernières sanctions ont rendu plus difficile. Pour Arcom, ces décisions constituent des jalons vers un éventuel refus de renouvellement de fréquence ou un durcissement des accords. « , analyse l’historien des médias Alexis Lévrier.

Ces manquements répétés aux obligations éthiques prévues dans les accords que les deux chaînes ont conclus avec Arcom pourraient donc, « dans une stricte logique juridique, conduire au non-renouvellement de leur fréquence » estime un observateur proche du dossier. Pour se protéger, C8 s’est également engagée, lors de son audience, à diffuser « Touche pas à mon poste » en différé afin de « garantir le contrôle de leur antenne ». La chaîne a en effet accumulé plus de 7,5 millions d’euros d’amendes ces dernières années liées aux excès de son présentateur star Cyril Hanouna.

Or, un non-renouvellement des fréquences de C8, voire de CNews, comporte un risque politique. « Cela pourrait apparaître comme une forme de censure d’une partie de l’opinionestime le même observateur. C’est une accusation qui ne manquera pas d’être relayée par les puissants médias de Vincent Bolloré, qui possède également Europe 1 et Le Journal du dimanche. Et c’est d’autant plus vrai que ces chaînes réalisent des audiences élevées, encore accrues par les récentes campagnes électorales. En mai et juin 2024, CNews est arrivée en tête des chaînes d’information en continu, devant BFMTV.

Une voie médiane pour l’Arcom serait de renouveler les conventions de C8 et CNews, mais avec des conditions plus strictes, comme exiger le pluralisme non seulement des invités politiques mais aussi des éditorialistes, conformément à une injonction du Conseil d’Etat à l’Arcom en février dernier. Autre option : assortir le renouvellement de ces fréquences d’une condition suspensive en cas de non-respect de la convention. « Cela aurait le mérite d’avoir un réel effet dissuasif, contrairement aux amendes, même très élevées, prononcées jusqu’à présent. En revanche, c’est juridiquement incertain », a-t-il ajouté. conclut notre observateur, en supposant que « Le Conseil d’Etat serait sans doute saisi de ce point ».

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Arcom, une mission démocratique

L’Autorité de régulation de l’audiovisuel et de la communication numérique est née en 2022 de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Composée de neuf membres, elle prend ses décisions de manière collégiale.

L’Arcom assure le soutien de la création audiovisuelle francophone et européenne (quotas de chansons, financement de films…), et contribue à la lutte contre le piratage.

Elle attribue des fréquences aux chaînes audiovisuelles pour quatre années renouvelables.

Elle garantit le respect de l’honnêteté, l’indépendance de l’information et l’expression pluraliste des opinions par les médias audiovisuels. Tout en garantissant la liberté d’expression, elle veille au respect des individus. Elle peut prononcer des avertissements, des mises en demeure ou des amendes.

Elle supervise les plateformes en ligne et les réseaux sociaux, notamment contre la manipulation de l’information et la haine en ligne.

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