Le Français Théo Clerc emprisonné six mois en Azerbaïdjan pour… graffiti

Depuis près de six mois, un Français est emprisonné au fin fond du Caucase, en Azerbaïdjan, pour un graffiti. Théo Clerc a été arrêté le 30 mars. La veille au soir, armés de pinceaux et de quelques bombes de peinture, Théo et ses deux amis, Ali et Don (1), se sont infiltrés dans le dépôt du métro de Bakou, la capitale azérie, où ils étaient arrivés trois jours plus tôt. Sur l’un des wagons, le trio a esquissé quelques lettres, laissant à peine deviner le mot « Jaezo ». « Ce graffiti n’a rien de politique, ce sont juste des lettres qui ne veulent pas dire grand-chose », a expliqué l’Australien Don à StreetPress. Les autorités locales y voient toutefois une « atteinte grave à la dignité nationale et à l’ordre public ».Les trois artistes ont été emmenés au commissariat. « Nous avons été interrogés pendant des heures », se souvient Don :

« Ils ont fouillé nos sacs, nos téléphones, ils ont pris nos passeports. Ils étaient physiquement très agressifs. »

Convoqués en comparution immédiate devant le tribunal administratif, les trois hommes se sont retrouvés face à un juge qui, dans un jugement en référé, les a condamnés à une amende de 10 000 manats, soit 5 325 euros, avant d’ordonner leur remise en liberté. « Quand nous sommes rentrés à l’hôtel, je me souviens que les policiers nous suivaient partout, à la salle de sport, au restaurant… A chaque entrée et à chaque sortie, on pouvait les croiser. » Mais cette semi-liberté n’est que de courte durée pour Théo.Le lendemain, la police a annulé le verdict de la veille et l’homme de 38 ans a été à nouveau arrêté, seul cette fois, et placé en détention provisoire pour « dégradation de biens de l’État ».

Une accusation de « hooliganisme » et quatre ans de prison

Théo Clerc a alors vu son dossier s’ajouter un nouveau chef d’accusation : celui de « hooliganisme », qui a ouvert la voie à une enquête labyrinthique qui a duré cinq mois. Ce délit, dont la définition dans la loi azérie est floue, a donné carte blanche à la justice pour embrasser une série d’actions. Une situation que la famille de Théo a jugée injuste. Et si le Quai d’Orsay assure suivre « avec attention », Le sort du graffeur n’a suscité aucune réaction de la part de l’Etat français, tenu informé depuis avril dernier.Ce n’est que le 4 septembre que le ministère des Affaires étrangères a semblé faire écho à la situation de Théo Clerc en publiant sur son site une note sur l’Azerbaïdjan. Il déconseillait aux ressortissants, y compris aux binationaux, de se rendre en Azerbaïdjan, au risque de « s’exposer à des risques d’arrestation, de détention arbitraire et de procès inéquitable ». Les relations entre les deux pays n’ont jamais été au mieux, en raison du soutien de la France à l’Arménie, Etat limitrophe et parfois en guerre avec l’Azerbaïdjan. Mais elles sont au plus bas depuis des mois. La France a rappelé son ambassadeur en avril dernier et accusé l’Etat azéri d’ingérence en Nouvelle-Calédonie.

De son côté, la note de la diplomatie française du 4 septembre a conduit le porte-parole du ministère local des Affaires étrangères à mettre un terme à la « campagne de diffamation ». L’affaire a-t-elle aggravé la situation de Théo ? Depuis, « tout s’est accéléré », raconte son frère Charlie. Au tribunal Narimanov de Bakou, le procès « était d’un autre monde », selon les proches du détenu. « Tout le monde dans la salle d’audience était d’accord pour dire que les graffitis n’avaient aucune connotation politique », se souvient Don, dans le box des accusés. « La juge elle-même l’a dit. » Selon Charlie, dont un proche a assisté à l’audience, « les témoins qui devaient être entendus ont été excusés et nous sommes passés directement au verdict. » Le procureur a requis quatre ans de prison pour Theo et trois ans et demi pour les deux autres. « Et puis la juge était absente pendant longtemps, elle était probablement au téléphone… », raconte Don. A son retour, la sentence est tombée : trois ans de prison pour le Français. Ses amis ont écopé d’une amende équivalant à plus de 2.000 euros..

« Signes croissants de détresse psychologique »

Aucune justification n’a été donnée à cette différence de peine. « C’était un procès collectif », réagit l’avocat de Théo et de ses deux amis anglo-saxons, Elchin Sadigov. Le Français a payé plus de 5 000 euros en échange d’une libération immédiate qui n’a jamais vu le jour.. Preuve, selon son avocat, que la justice azerbaïdjanaise « ne respecte pas ses propres lois » :

« Il est clair que nous sommes en présence d’une affaire politique, car en Azerbaïdjan, la pratique habituelle ne prévoit pas d’emprisonnement si l’amende est payée. »

Les conditions de détention du Français semblent déplorables. Pendant des mois, Théo a été enfermé dans une cellule de 20 m2 avec huit personnes. « Un jour, il m’a appelé pour me dire qu’un de ses codétenus avait été agressé au couteau », raconte Charlie. Il raconte que son frère « montre des signes croissants de détresse psychologique », développe des « TOC » et un comportement de plus en plus perturbé. « Il ne voulait pas raconter ce qui se passait à l’intérieur », ajoute-t-il. Alors que Théo continue de croupir dans sa cellule, la diplomatie française reste figéePire, la consule de France à Bakou, Mathilde Guiraud – qui n’occupe plus ce poste aujourd’hui – aurait confié lors d’une réunion avec les proches du prisonnier qu’« ici, tout se fait par pots-de-vin ». Certaines rumeurs évoquent un possible échange de prisonniers : Théo contre le blogueur azéri Mahammad Mirzali, réfugié politique en France et placé sous haute surveillance après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. « La France n’acceptera jamais de le renvoyer en Azerbaïdjan, il risque l’exécution », explique une source. Alors que l’Azerbaïdjan doit accueillir dans quelques semaines la Cop29, la famille de Théo veut alerter sur sa situation et a lancé une pétition. Elle réclame « justice et clémence ».

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(1) Les prénoms ont été modifiés.

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