Le fleuron français Don’t Nod pourrait perdre 20% de ses effectifs
Le studio à l’origine de la série « Life is Strange », en difficulté après plusieurs contre-performances commerciales, a annoncé un plan de restructuration.
« Malgré les actions déjà entreprises, l’entreprise se retrouve contrainte d’envisager un projet de réorganisation ». C’est avec ces mots que le groupe français Don’t Nod, créateur et éditeur de jeux vidéo (La vie est étrange, Juste, Les Banishers…), a annoncé mercredi soir l’imminence d’un plan de départs volontaires. « Ce projet pourrait impacter la main d’œuvre en France et pourrait, en l’état du projet prévu, concerner jusqu’à 69 emplois »soit 20 % de l’effectif total du groupe.
« Un échange a eu lieu aujourd’hui avec les instances représentatives du personnel ; une démarche d’information – consultation auprès de ces mêmes instances devrait alors être engagée sur ce projet » qui vise à « rationaliser le nombre de lignes de production », « renforcer le rôle du comité éditorial afin de mieux répondre aux attentes du marché » Et « trouver plus d’agilité ». Le groupe avait réalisé un chiffre d’affaires de 5,2 millions d’euros en 2023 contre 7 millions en 2022, et n’a enregistré que 1,8 million d’euros de chiffre d’affaires au premier semestre 2024. « Les comptes semestriels reflètent à la fois la sous-performance commerciale de certains jeux et l’impact comptable des décisions prises pour faire face à un marché ultra-concurrentiel et sélectif »indique le communiqué.
« Je suis pleinement conscient de l’impact que ce projet pourrait avoir pour l’ensemble des salariés »» a déclaré le PDG et co-fondateur Oskar Guilbert dans le communiqué. « Il est cependant aujourd’hui indispensable d’envisager une telle voie étant donné la nécessité de sécuriser les ressources de notre entreprise et de restaurer sa capacité à mieux rivaliser dans une industrie devenue beaucoup plus compétitive et sélective. »
Manque de succès commercial
Le studio parisien a annoncé le 23 septembre que ses deux dernières productions, le jeu d’action-RPG Banishers : Les Fantômes de New Eden et le jeu d’escalade Reflux avait fait des ventes « beaucoup inférieur aux attentes » de l’entreprise malgré les bons retours des médias spécialisés. « Nous sommes évidemment déçus de nos récentes performances sur un marché extrêmement compétitif et sélectif. Malgré un excellent accueil critique, Jusant et Banishers n’obtient malheureusement pas le résultat commercial escompté. » a alors déclaré le PDG.
Le groupe décide alors de faire le tri dans tous ses projets actuellement en production afin de « maximiser les chances de succès des titres les plus prometteurs. » Deux projets menés à Paris ont ainsi été interrompus « temporairement »tandis que deux autres, prévus d’ici 2027, ont été « réorienté pour toucher un public plus large. »
Le communiqué de septembre prévenait également : le groupe « étudie d’autres options qui pourraient être envisagées dans les plus brefs délais pour sécuriser ses opérations et améliorer la création de valeur. » Depuis janvier, la valeur de l’action Don’t Nod’s a chuté de près de 70 %. Il ne valait que 1,50 euro ce mercredi matin avant la suspension des cotations. A son apogée, durant l’été 2018, le titre s’échangeait à 30 euros.
Tous les espoirs de Don’t Nod reposent actuellement sur le jeu Records perdus : Bloom et Rage, qui a été réalisé au Canada par les créateurs de la saga Life is Strange. Cette licence, dont la première itération est sortie en 2015 sous forme d’épisodes façon série TV, a été un grand succès critique et commercial international qui a transformé le destin de la société française. Elle a forgé sa réputation de spécialiste des jeux à forte dimension narrative, et lui a permis d’entrer en bourse en 2018 et de réaliser plusieurs levées de fonds. Le groupe chinois Tencent, entré au capital en 2021, détenait ainsi 40 % de l’entreprise en 2023.
Don’t Nod a pu augmenter le nombre de jeux en production, recruter (plus de 340 employés à ce jour), ouvrir un studio à Montréal et lancer son activité d’édition. « Cette stratégie d’investissement était essentielle pour atteindre une taille critique. Elle doit désormais se concrétiser à travers un cycle de performance »a déclaré la société en avril. En effet, Don’t Nod n’a pas connu un succès commercial similaire à celui de La vie est étrange. De plus, les droits de cette licence sont détenus par l’éditeur japonais Square Enix, qui a financé la création des deux premiers volets. Depuis, il a confié le développement des suites à d’autres studios.
Le dernier opus en date, La vie est étrange : double expositionest sorti ce 15 octobre. Pour éviter une cannibalisation des ventes, Records perdus : Bloom et Rage, qui cible le même public, a été reportée à février 2025. « Il est essentiel de donner à ces deux titres l’espace nécessaire pour que nos joueurs puissent en profiter au sein de la grande communauté que nous avons créée »expliquait Oskar Guilbert en juin dernier. Un nouvel échec commercial déstabiliserait encore davantage le groupe.
Un contexte de crise pour l’industrie
En début d’année, les élus du Syndicat des Travailleurs du Jeu Vidéo (STJV) disaient qu’ils « préoccupé par l’avenir du studio, ses productions, les conditions de travail, et constaté l’absence de dialogue social. » Ils ont relayé dans un communiqué les résultats de l’étude interne Qualité de vie au travail, à laquelle ont répondu deux tiers des salariés. La moitié ont déclaré désapprouver la stratégie de l’entreprise et 30 % ont découragé leurs connaissances de postuler. Don’t Nod a également vu le départ la semaine dernière de son directeur narratif Stéphane Beauverger, au sein de la société depuis 15 ans. « Il était une fois un directeur narratif qui décida que le moment était venu de mettre le cap sur de nouveaux horizons »il a écrit sur LinkedIn.
L’annonce de Don’t Nod intervient dans un contexte de crise pour l’industrie mondiale du jeu vidéo, où plus de 13 000 salariés ont été licenciés depuis le début de l’année. Le secteur connaît depuis de nombreux mois une sévère phase de correction, combinant difficultés à trouver des financements et échecs commerciaux chaotiques dus à une surproduction que le marché ne parvient pas à absorber. Des erreurs d’appréciation qui remontent aux années Covid, lorsque la consommation de jeux vidéo s’est envolée chez les consommateurs confinés. En août dernier, Julien Villedieu, ancien délégué général du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), alertait dans Le Figaro : « La vague arrive en France, et elle va faire des dégâts. »