Mon ami Antoine Guillot, envoyé spécial à Cannes, n’en a pas dit grand chose hier dans notre matinale, je l’ai vu en plébéien, puisque le film est sorti dans presque toutes les salles de France, alors qu’il était projeté sur le Croisette. Un film apparemment fait sur mesure pour ouvrir un festival – truffé de références, de clins d’oeil au médium, de méta dans tous les sens et de prophéties plus ou moins potaches sur l’avenir du septième art, un film qu’on n’a sans doute pas vu de la même manière. que l’on soit concerné par l’affaire Cannes, ou confortablement assis dans une salle un peu plus éloignée du bruit du monde et des rumeurs du moment. Un choix surprenant de la part du Festival, à la fois signe d’une forme de vitalité plutôt bienvenue, et d’une inquiétante désinvolture.
Alors qu’est-ce que c’est Deuxième acte de Quentin Dupieux : c’est un film qui contient plusieurs films, selon un principe de mise en abyme devenu une marque de fabrique de son cinéma. Quatre comédiens se retrouvent à la campagne pour filmer une scène de boulevard dans un restaurant perché au sommet d’une colline. Dans cette scène David (c’est Louis Garrel), arrive avec Willy (Raphaël Quenard), un ami qu’il a convaincu de séduire Florence, une jeune fille qui le poursuit de ses assiduités, et dont il aimerait se débarrasser. Elle – c’est Léa Seydoux, arrive avec son père, Guillaume, un banquier ultra bavard joué par Vincent Lindon.
On ne saura pas ce qui se passe entre ces quatre-là, ni quelle tournure prendra le vaudeville, car ce qui compte c’est le décor : ce sont des comédiens, qui interrompent sans cesse le dialogue écrit pour parler de leur métier, prendre parti et se disputer. : Lindon en a marre du cinéma qu’il trouve inutile dans notre monde en plein effondrement, Garrel est scandalisé par l’attitude de Quenard qui dit des horreurs sur les trans, les homosexuels, et tente de coincer Seydoux dans les toilettes, elle-même est en plein doute sur sa carrière et ne peut plus prendre les trois autres. Un petit théâtre de la cruauté est ainsi aménagé de l’autre côté du boulevard, largement alimenté par les clichés attachés à ces quatre acteurs, monstres du cinéma français chacun à leur manière.
Débonnaire
La recette de Dupieux est géniale mais aussi très pratique pour ne rien dire du tout, puisque tout est constamment sujet au doute : ce que dit le personnage est-il vraiment dit, ou construit, répété, mentionné ? La mise en abyme, qui pourrait fonctionner comme une mise à nu ironique des mécanismes de représentation, fait exactement le contraire chez Dupieux : c’est un bon gros tapis un peu chic sous lequel se cacher avec bonheur, réfléchissons-nous au sens littéral, mais sans pensée. Alors quand Quenard tente quelque chose avec Seydoux qui n’a rien demandé, et qu’elle le rejette en lui disant qu’elle pourrait détruire sa réputation et l’empêcher de tourner, on hésite : faut-il rire ? Est-ce une bonne nouvelle que l’on puisse en rire ? Est-ce qu’on rit jaune ? Est-ce qu’on rit mal ? Cette remise en question étant immédiatement abolie par un truc de la mise en scène : en fait c’était une scène de tournage, la violence n’est pas réel. y compris l’acte, le deuxième acte dans ce cas.
Devant l’écran j’étais donc perplexe, pas tellement gêné par le défaut disons éthique du film – qui en soi ne me dérange pas, je suis plus d’accord pour rire de tout pourvu que la forme suive, que de ce que révèle ce choix de la position du Festival et qu’on peut résumer ainsi : en même temps on a compris que les enjeux du moment au cinéma c’était ça, et en même temps on les évacuait par le rire et en quatre -casting vedette – un geste bon enfant à la fois maladroit et spectaculairement évitant.