«Le dumping social est le carburant de la concurrence», affirme Thierry Nier, du syndicat CGT Cheminots.
Ce jeudi 26 septembre, les quatre organisations syndicales ferroviaires représentatives (CGT, Unsa, SUD, CFDT) entendent dénoncer la libéralisation du rail, en se rassemblant à midi devant le ministère des Transports. Dans ce contexte, à partir du 15 décembre, la SA Voyageurs de la SNCF exploitera les premières lignes régionales ouvertes à la concurrence via des filiales dédiées, au risque de brader les conditions de travail et la sécurité du trafic.
L’accord de classification et de rémunération 2022 transpose l’accord de branche à la SNCF. Quels effets ce texte a-t-il sur le transfert des cheminots vers des filiales dédiées ?
Thierry Nier
Secrétaire général de la CGT Cheminots
Cet accord introduit une polyvalence des métiers. Dès lors, leur contenu est remis en cause. La multiplication des tâches, plutôt que d’assumer un métier unique et complet avec une formation dédiée adéquate, va bouleverser profondément la production ferroviaire. C’est ce mode d’organisation que la direction voudrait appliquer dans la perspective du transfert des cheminots vers les filiales dédiées aux TER.
Chacune des filiales aura ses propres périmètres, organisation du travail et densité de voyageurs. La CGT des cheminots est la seule fédération à ne pas avoir validé cet accord. Ce texte détricote le contenu des métiers et implique de graves risques en termes de sécurité routière. La polyvalence des métiers va induire une réduction du nombre de cheminots. Derrière cela, il y a des enjeux de formation des agents.
Quelles sont vos inquiétudes quant au contenu de la formation ?
Avant même cet accord, la direction a de plus en plus axé la formation sur les spécificités du métier dans les sites ferroviaires et non plus sur une connaissance globale du métier et des textes réglementaires. Ces cheminots ne sont donc pas toujours formés à la connaissance de l’ensemble du système ferroviaire, ils maîtrisent donc moins les synergies nécessaires à une bonne production ferroviaire. L’objectif est que les agents effectuent des tâches sans être outillés pour penser la production globale des trains. C’est une logique de division des cheminots par la formation qui s’installe.
L’ouverture à la concurrence s’accompagne-t-elle nécessairement d’une polyvalence et d’un transfert d’agents ?
D’abord, l’ouverture des TER à la concurrence n’était pas une obligation. La réglementation européenne permet l’attribution directe sans appel d’offres. Notre priorité est de revenir à ces logiques de libéralisation ferroviaire. Or, malgré la concurrence, la SNCF n’avait aucune obligation de transfert d’agents. La SA (société anonyme – NDLR) Voyageurs est l’unique candidate de la SNCF dans le cadre des appels d’offres.
Lorsqu’elle les remporte, puisqu’il n’y a pas de changement de bénéficiaire, elle peut garantir la production sans créer de filiales dédiées. Dès lors, les transferts de cheminots ne sont pas non plus obligatoires. La création de filiales dédiées est une décision assumée par la direction de la SNCF. Nous exigeons qu’elle arrête ce processus. Si elle choisit de continuer dans cette voie, ce qui est le cas pour le moment, elle peut absolument utiliser la desserte entre la SA Voyageurs et la filiale. Ainsi, les cheminots conserveront tous leurs droits actuels.
Avec la multiplication des employeurs, quelles pourraient être les conséquences sur le climat social ?
L’objectif est de briser toutes les réponses sociales. Le patronat est cohérent : la rentabilité produite par une dégradation des conditions de travail s’accompagne d’une volonté d’affaiblir la résistance syndicale. Aussi, le patronat ne nous attaque pas frontalement. Il opère par petits pas. La division des collectifs de travail, la séparation des activités, l’exploitation ferroviaire à travers le prisme de différentes sociétés anonymes, la création de familles de métiers indépendantes les unes des autres répondent à cette logique. Ainsi, les cheminots n’ont plus le sentiment d’appartenir à une famille ferroviaire commune.
SNCF Fret doit céder la place à deux entités au 31 décembre. Est-il encore possible de contrer le plan de discontinuité ?
Oui. Nous travaillons à construire un rapport de force suffisant pour obtenir un moratoire. Cette mesure résulterait d’une simple volonté politique de l’exécutif, sans décret, sans passer par la voie législative.
Le Bureau de l’Assemblée peut soumettre au débat, et faire passer par un vote des députés, un certain nombre de sujets comme celui du plan de discontinuité. Le Nouveau Front populaire est majoritaire dans cette instance. Au-delà du soutien que nous avons apporté au programme de coalition, nous souhaitons travailler avec la gauche sur une issue politique pour contrer la liquidation de Fret SNCF.
Dans l’état actuel des choses, la relance du train des primeurs est-elle envisageable ?
Grâce à l’action syndicale, nous avons préservé le matériel qui devait être mis à la casse. Le train primeur fait partie des 23 flux que Fret SNCF a dû abandonner depuis dix ans. Toutefois, en l’absence de repreneur, l’Etat peut décréter une dérogation pour relancer le Perpignan-Rungis dans sa version initiale, composée de wagons frigorifiques.
En solution alternative, il est également possible de créer une nouvelle circulation combinant des wagons frigorifiques avec des porte-voitures. Ainsi, ce flux ne serait plus un train dédié à un seul client. Cette nouvelle circulation sortirait alors du plan de discontinuité.
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