Divertissement

« Le Deuxième Acte » de Quentin Dupieux ou la difficulté de séparer le cinéma des coulisses

« C’est le chaos dans mon travail »se désole Guillaume, célèbre acteur incarné par Vincent Lindon dans Le deuxième acte. Le nouveau film de Quentin Dupieux, prévu en ouverture du Festival de Cannes 2024, mardi 14 mai, et en salles à partir de ce mercredi 15, raconte le tournage douloureux de quatre acteurs français, interprétés par Vincent Lindon, Léa Seydoux, Raphaël Quenard et Louis Garrel.

Intelligence artificielle, égos mortels, peur d’être « annulé », agression sexuelle : le cinéaste dresse un portrait à peine satirique du monde du cinéma contemporain et interroge la capacité du septième art à nous faire encore rêver. Un choix très approprié pour ouvrir le 77e Festival de Cannes, alors que chaque nouvel événement cinématographique semble désormais indissociable de nouvelles controverses et revendications.

En début de semaine, alors que la Croisette mettait la dernière main aux préparatifs du festival, une rumeur qui circulait depuis plusieurs jours était sur toutes les lèvres. Le média en ligne Mediapart allait-il, oui ou non, publier une enquête accusant, juste avant la cérémonie d’ouverture, plusieurs acteurs et producteurs du cinéma français de violences sexistes et sexuelles, semant la zizanie dans le plus grand événement cinématographique de l’année ?

Mediapart a fini par démentir dans la soirée du lundi 13 mai. Le même jour, lors de sa conférence de presse, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, a de son côté assuré : « Cette année, nous avons décidé de faire un festival sans polémique. » Pourtant, un vent d’anticipation, mi-anxieux, mi-voyeuriste, restait palpable autour du Palais des Festivals à la veille du lancement.

Une industrie en grande difficulté

Il faut dire que le personnage de Vincent Lindon n’a pas tort : c’est bel et bien le chaos dans la profession. Sept ans après #MeToo et la chute du producteur Harvey Weinstein et cinq ans après les accusations d’Adèle Haenel contre le réalisateur Christophe Ruggia, le monde du cinéma français semble touché par un grondement de plus en plus vaste et difficile à ignorer.

Après plusieurs accusations et plaintes, Gérard Depardieu a été placé en garde à vue le 29 avril 2024, pour des agressions sexuelles qui auraient eu lieu en 2021, avant un procès qui s’ouvrira en octobre prochain. En février 2024, Judith Godrèche dépose deux plaintes pour viols sur mineure, contre les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon. L’actrice, dont la prise de parole courageuse a marqué ces derniers mois, présentera également à Cannes son court-métrage sur les violences sexistes et sexuelles, Moi aussi.

A la veille de la cérémonie d’ouverture, lundi 13 mai, plusieurs acteurs du cinéma ont également manifesté pour le retrait de Dominique Boutonnat de la présidence du Centre national du cinéma (CNC). Le producteur, accusé d’agression sexuelle par son filleul, sera jugé à partir du 14 juin. Le 13 mai au soir, le magazine Elle a publié une enquête sur le producteur Alain Sarde – collaborateur de Jean-Luc Godard, Roman Polanski et David Lynch – accusé par neuf femmes de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel.

Face à ce climat pour le moins complexe, certains évoquent déjà la volonté de ne parler que de cinéma et non d’actualité. Mais est-il encore réaliste de vouloir dissocier les deux, en tant que journaliste ou en tant que spectateur, alors que les cas sont si nombreux qu’ils se retrouvent désormais dans l’intrigue des films ? Dans Le deuxième acte, Quentin Dupieux n’évite pas la question des agressions sexuelles. Mais ses piques semblent davantage dirigées contre la frénésie médiatique, suggérant que beaucoup de controverses peuvent partir de peu.

Louis Garrel et Vincent Lindon dans Le deuxième acte de Quentin Dupieux. | Chi-Fou-Mi Productions / Arte France Cinéma

Lorsque le personnage incarné par Raphaël Quenard tente d’embrasser celui de Léa Seydoux, elle réagit immédiatement : « Savez-vous que je peux vous griller pour ça si j’en parle à la presse ? Louis Garrel, quant à lui, supplie son partenaire de scène de se contrôler devant les caméras : « On va se faire annuler, arrêtez de dire tout ce qui vous vient à l’esprit. » Plus tard, il a demandé à son agent de lancer une rumeur sur le personnage de Vincent Lindon afin de lui nuire professionnellement : « Dites des bêtises, dites qu’il est antisémite. »

Le cinéma peut-il encore nous surprendre ?

Soyons clairs : la prise de parole au sein de la filière et les enquêtes menées par de nombreux médias français pour dénoncer les dysfonctionnements du système sont essentielles. Et pourtant, on peut comprendre la lassitude face aux révélations en cascade. Personne n’est content d’entendre de nouvelles histoires de victimes traumatisées. Ou de voir tomber de nouvelles accusations, surtout lorsqu’elles concernent des artistes avec qui on aimait rêver.

Dans un tel contexte, on pourrait être tenté de faire l’autruche ou de jeter l’éponge en affirmant que le cinéma n’est plus capable de faire face à la gravité du monde réel. C’est le cas du personnage de Vincent Lindon, qui semble déterminé à prendre sa retraite au début du film : «Je ne peux plus arrêter de faire semblant. J’en ai assez jusqu’ici. Je ne supporte plus ces fictions stupides. (…) L’humanité est en train de sombrer et vous voulez continuer à jouer ma fille dans un film d’art et d’essai ?

Mais sa colère est-elle sincère, ou s’agit-il d’un énième acte de vanité de la part d’un acteur vieillissant, en perte de reconnaissance ? En tout cas, son humeur va très vite changer lorsqu’on lui proposera un rôle dans le prochain film du cinéaste américain Paul Thomas Anderson.

« Aujourd’hui, alors que Le Deuxième Acte s’apprête à ouvrir le Festival de Cannes et à sortir en salles, je souhaite me taire. »

Quentin Dupieux, réalisateur et scénariste du film « Le Deuxième Acte »

Et Quentin Dupieux, que pense-t-il de tout ça ? Nous ne pouvons pas lui demander. Quelques semaines avant la première projection, le cinéaste a annoncé qu’il ne s’adresserait pas à la presse, mais nous a envoyé une note d’intention pour expliquer sa décision.

« Aujourd’hui, alors que Le deuxième acte (…) est sur le point d’ouvrir le Festival de Cannes et de sortir en salles, je veux me tairedéclare Quentin Dupieux. Non par lassitude ou prétention, mais tout simplement parce que ce film, très bavard, dit avec des mots bien choisis tout ce que j’ai envie de dire et contient déjà sa propre analyse de manière extrêmement claire. Il serait donc inutile selon moi d’entendre un réalisateur et ses acteurs paraphraser un film dans lequel tout est toujours dit et commenté en temps réel. Le deuxième acte ne cache absolument rien.

En pointant les pires névroses de ses acteurs et en prétendant nous offrir un aperçu des coulisses de la machine à rêves, le long métrage de Quentin Dupieux livre un constat parfois jouissif, souvent juste, sur l’impossibilité actuelle de voir des films sans se sentir confronté aux coulisses. . « Pas le choix, il faut séparer l’homme de l’artiste »observe le personnage de Raphaël Quenard. « Les deux sont horribles en fait »rétorque celle de Léa Seydoux dans l’un des moments les plus savoureux du film.

À deux figurants fascinés par les coulisses du tournage, le personnage de Louis Garrel suggère « continue de rêver, c’est mieux ». Si la tâche semble de plus en plus ardue, le Festival de Cannes 2024, avec sa compétition alléchante (Francis Ford Coppola, Andrea Arnold, Sean Baker, Yórgos Lánthimos, David Cronenberg, Coralie Fargeat, etc.), a en tout cas mis le travail difficile de nous permettre de le faire. En attendant, n’oublions pas que les rêves peuvent aussi être lucides.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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