le désintérêt des jeunes tunisiens pour la présidentielle du 6 octobre
Mourad, Issam, Tasnime et Ayoub ont entre 20 et 25 ans. Résignés à voir stagner leurs conditions de vie et leurs libertés, ils ne se rendront pas aux urnes dimanche pour élire un nouveau président.
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« Quand nous trouverons quelqu’un qui se soucie des jeunes, alors nous voterons ». Le message est clair. Pour Issam*, 25 ans, comme pour de nombreux jeunes Tunisiens, l’élection présidentielle du 6 octobre ne sera pas un événement. « Pour moi, la politique, c’est juste une autre histoire, c’est superficiel »» emporte Tasnime, une Tunisienne de 20 ans qui souhaite devenir infirmière. « Personne ne m’intéresse donc je vais voter blanc »indique de son côté Mourad, 21 ans.
Pourtant, lorsque Kaïs Saïed s’est présenté à l’élection présidentielle anticipée de 2019, il a fait appel à la jeunesse du pays. En Tunisie, près de 45% de la population a moins de 30 ans. Face aux anciens de la politique, ce professeur de droit constitutionnel, apprécié de ses étudiants, se démarque et promet un renouveau dans une Tunisie qui peine à stabiliser sa situation économique et politique depuis la révolution de 2011. D’ailleurs, quelques jours après le premier tour, l’ancien président du Zine el-Abidine Ben Ali meurt en Arabie Saoudite, symbole que le vieux monde et la dictature sont réellement derrière tout cela.
Kaïs Saïed a finalement remporté sa première élection avec 72,71% des voix et la jeunesse tunisienne semble y être pour quelque chose. « Kaïs Saïed, le candidat des jeunes Tunisiens qui veulent le ‘changement' », titre Le monde entre les tours. « Les jeunes ont voté pour lui en 2019 et l’ont soutenu parce qu’il était extraordinaire, analyse Youssef Abid, enseignant-chercheur en droit public à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Mais cela ne s’est pas concrétisé. En plus, il n’avait aucune proposition pour les jeunes, sauf que c’était inhabituel.”.
«J’ai soutenu la campagne de Kaïs Saïed», confirme Mourad même s’il ne pouvait pas encore voter à l’époque. « C’est vrai qu’au début, il était un espoir pour les jeunes mais ensuite ça s’est dégradé », dit-il. Pour Youssef Abid, « LLa jeunesse a baissé les bras surtout depuis le coup d’Etat du 25 juillet 2021 car il y a une fracture générationnelle :Les jeunes d’aujourd’hui ont la liberté comme ligne rouge et le rétrécissement des droits individuels est très significatif depuis 2019 ».
25 juillet 2021, Kaïs Saïed réalise un coup d’État constitutionnel en gelant les travaux du Parlement et en limogeant le Premier ministre. La raison ? Répondre aux demandes des citoyens face à l’impasse dans laquelle se trouve le travail parlementaire, selon le président. Si une partie des Tunisiens, y compris la jeunesse, soutient et fait confiance aux promesses du président, les arrestations de militants, de journalistes, d’opposants politiques, les licenciements et les expulsions d’étrangers vont se multiplier. Kaïs Saïed se mue en autocrate à coups de décrets et la situation se complique pour les droits individuels « alors que, dans le même temps, la situation économique ne s’améliore pas » précise Youssef Abid. C’était une douche froide pour le jeune qui se trouvait derrière lui.
« En discutant avec mes amis, on s’est dit qu’on n’allait pas voter parce qu’on n’aurait aucun bénéfice à tirer de cette élection »déplore Issam, qui vit à Hammamet. Électricien de formation, il peine à trouver un travail dûment déclaré et rémunéré. Cependant, sa ville regorge de touristes étrangers et de riches Tunisiens en été et attire les retraités européens en hiver. Au milieu de tout cela, il ne parvient pas à trouver un emploi stable qui lui permettra de construire sa vie et de profiter de son temps libre. « Nous sommes exploités et il est très difficile de trouver un bon travail, dit-il. Je gagne plus d’argent avec les lives TikTok, assis sur ma chaise”.
Dimanche 6 octobre, si l’abstention s’annonce importante, celle des jeunes sera à surveiller de près. « Les attentes étaient si élevées (lors de l’élection de Kaïs Saïed) que la déception est grande et que cela a provoqué une nonchalance chez les jeunes tunisiens à l’égard de la politique », note Youssef Abid, qui a également travaillé pour Al Bawsala et Mourakiboun, deux organisations très actives en Tunisie qui supervisent l’activité politique et parlementaire.
« Ce désintérêt de la jeunesse constitue un risque important pour l’avenir du pays car les solutions pour les jeunes se trouvent hors de Tunisie. Cette dynamique rend la société individualiste.
Youssef Abid, conseiller juridiquesur franceinfo
En effet, quitter le pays est dans toutes les têtes, quelle que soit la classe sociale. « Oui, Je pense aller en Europe pour trouver du travail, » dit Issam. Mais je vis dans le plus beau pays du monde, j’aimerais avoir des dirigeants politiques qui permettent aux jeunes de vivre ici dans des conditions dignes. » Mourad et Ayoub voteraient également si un candidat proposait des solutions « pour le chômage, les salaires et les visas aussi ». « Je veux juste avoir le droit de quitter la Tunisie et d’y revenir, juste pour voyager, découvrir des choses », dit Ayoub. Il a 23 ans, habite à Kram, commune limitrophe de La Goulette, près de Tunis. Il s’implique dans des associations artistiques et d’éducation populaire et écrit des textes de rap. «J’essaie d’écrire des choses qui donnent le bon exemple aux jeunes»dit-il, rêvant de développer son art.
Une jeunesse fracturée donc, entre ceux qui s’accrochent à leur espoir et d’autres qui luttent ou s’échappent pour éviter de sombrer. C’est aussi ce que Rym, 33 ans, constate sur le terrain. Elle travaille dans l’association où Ayoub est bénévole : « Certains jeunes de la génération Z ont les yeux ouverts et savent ce qui se passe, vont aux manifestations mais cherchent encore des solutions pour quitter la Tunisie. Et pour l’autre partie, qui n’est pas intéressé, c’est le désespoir total car depuis des années rien n’a changé. Alors pourquoi lutter dans le vide ?
En effet, « il y avait beaucoup de jeunes à la manifestation (à partir du vendredi 13 septembre à Tunis, pour la « défense des droits et libertés »)« , se souvient Youssef Abid. Signez ça « La peur n’a pas contaminé les jeunes, donc il y aura une renaissance. Cela se voit dans les mouvements qui se créent », a-t-il déclaré en référence au « Réseau tunisien de défense des droits et libertés », créé début septembre.