le défi de l’industrie française
Un salarié français sur trois de l’industrie manufacturière va quitter son emploi, selon un rapport de l’Inspection générale des finances. Mis en avant dans le dernier baromètre de la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale, le document indique que l’industrie comptera 966 000 départs à la retraite d’ici 2030.
» Il y a une transition démographique qu’il faut gérer, au même titre que les transitions énergétique et numérique », souligne Olivier Mousson, le président de cette association.
Une perte dangereuse de savoir-faire, à l’heure où les pouvoirs publics tentent de rapatrier la production en France et où les difficultés de recrutement dans les usines sont à un niveau élevé. Selon les données communiquées par le ministre chargé de l’industrie, Marc Ferracci, pas moins de 60% des recrutements sont jugés difficiles par les employeurs du secteur.
« Nous sommes déjà confrontés à un déficit de compétences dans l’industrie. Chaque année, en France, nous formons 45 000 ingénieurs, alors qu’il nous en faut 60 000. Le constat est identique pour les techniciens et les ouvriers, avec l’exemple symbolique des soudeurs qui en manquent cruellement. Évidemment, cela pousse aussi les managers à envisager de créer des unités de production à l’étranger », commente Stéphane Gorce, président de la Société des Ingénieurs Arts et Métiers.
Cette dernière vient de dévoiler une enquête, menée par l’Ifop à sa demande, sur la perception de l’industrie et de ses enjeux, par les Français et 2 200 ingénieurs du pays. Pour cette deuxième partie de l’étude, les compétences en matière de recrutement et de formation apparaissent comme le deuxième défi urgent à relever pour l’industrie française, pour 43 % des personnes interrogées, derrière la compétitivité face à la concurrence internationale (52,4 %).
« Nous arrivons à un tournant »
Toutefois, la mission de recrutement s’annonce complexe. Pour des raisons culturelles, le secteur souffre d’un désenchantement flagrant. Selon l’enquête Ifop pour la Société des Ingénieurs des Arts et Métiers réalisée auprès de 1 000 Français, seulement 11 % des Français « recommanderaient certainement à leurs proches de travailler dans l’industrie ».
« C’est un score très faible, mais meilleur qu’en 2010, où ce chiffre atteignait 7 %. Mais il ne faut pas s’attendre à avoir 50 %, aucun secteur n’a un tel chiffre. L’enjeu est de faire prendre conscience de ce qu’est aujourd’hui une usine et d’effacer cette image d’industrie du temps de Germinal », commente Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’Ifop.
Le contexte social qui s’ouvre, avec l’annonce de plusieurs plans sociaux, pourrait décourager les gens de se lancer dans cette voie professionnelle. Par ailleurs, cette enquête d’opinion met en avant un autre aspect : celui du manque de reconnaissance sociale, pointé par 46,2% des ingénieurs interrogés.
Pour tenter de redorer l’image de l’industrie, notamment avec la montée en puissance de la robotisation dans les usines, cette structure organisera, avec ses partenaires, la première « Journées portes ouvertes d’usine », les 4 et 5 avril, sur le modèle actuel des Journées du Patrimoine. Objectif, permettre au grand public d’accéder aux outils de production.
La Semaine de l’Industrie, qui touche à sa fin – spécialement dédiée aux collégiens et lycéens – affiche un nouvel enthousiasme pour son édition 2024. Selon Bercy, il y a 7 400 manifestations organisées et cinq millions de participants attendus, contre 2 500 manifestations et plus de deux millions de participants en 2023.
« Il y a encore trop peu d’attractivité des formations et des métiers du secteur industriel en France. C’est un problème culturel, mais je pense que nous arrivons à un tournant. La grande nouveauté, c’est qu’il y a désormais un grand effort collectif autour de cette question », commente leadministratrice générale du CNAM, Bénédicte Fauvarque-Cosson.
L’industrie paie mieux
L’établissement compte lancer un double cursus, afin de permettre aux étudiants du supérieur – déçus par leur choix – de se réorienter vers une filière industrielle. » Réorienter les étudiants vers l’industrie lorsqu’ils ont été mal orientés en première année est l’un de mes combats. Il faut sortir des facultés de droit tous ces étudiants qui s’y sont retrouvés par dépit », insiste le responsable qui compte mener cette initiative en collaboration avec différentes universités. Pour attirer ces étudiants, l’industrie dispose d’un avantage indéniable : la rémunération.
« C’est un fait souvent négligé : travailler dans l’industrie, c’est en moyenne gagner mieux sa vie que le reste du secteur privé. L’industrie offre des rémunérations environ 15 % plus élevées que les autres grands secteurs de l’économie de marché », écrivent les co-auteurs du baromètre de l’industrie publié par la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale (SEIN) et ses partenaires. .
La toute récente étude de l’Association for Executive Employment (Apec) sur la rémunération des dirigeants confirme cette tendance. L’industrie est le secteur où leur rémunération a le plus augmenté en 2024. 72% d’entre eux ont connu une augmentation de rémunération, contre 60% tous secteurs confondus, souligne cette étude. » L’industrie est aussi un terrain fertile pour le progrès social », avec ses formations continues et ses mobilités intra- et intersectorielles, estime le SEIN. Un discours qui commence à prendre le dessus ? Selon Opco 2i, entre 2020 et 2023, le nombre d’apprentis a bondi de 35 %, passant de 107 000 à 145 000 étudiants, dans les 29 branches de l’industrie. A la rentrée 2023, 1,3 million d’étudiants étaient inscrits en formation initiale liée aux métiers industriels selon l’IGF.