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Le déclin sévère de la France

La France traverse une période de grandes turbulences. Trois semaines après le second tour des législatives, la situation politique est loin d’être réglée. Divisée en trois blocs, l’Assemblée nationale ne dispose pas de majorité absolue. Et les interminables tractations au sein du Nouveau Front populaire (NFP) pour proposer un nouveau Premier ministre repoussent toujours plus loin l’arrivée d’un nouvel exécutif à Matignon. Dans ce contexte troublé, entreprises et ménages sont toujours plongés dans un épais brouillard. Nous sommes inquiets du choc de l’incertitude « , confie un ancien patron d’une grande banque française. Les entreprises s’inquiètent de l’investissement et de l’emploi « .

Frappée par des crises brutales (pandémie, guerre en Ukraine, crise énergétique), la trajectoire du produit intérieur brut (PIB) de l’économie française s’est fortement dégradée au cours des deux dernières décennies. Au centre des inquiétudes, la productivité a chuté, atteignant un niveau inférieur de 3,5 % en 2023 par rapport à 2019, alors qu’elle accélérait entre 0,5 % et 0,6 % depuis 2010, selon une note récente de l’Insee. En prenant en compte la tendance pré-Covid, le déficit de productivité s’établit même à 5,5 points de pourcentage. Cette baisse est inquiétante. « , explique François Geerolf, professeur d’économie à Sciences-Po contacté par La galerie.  » Le gouvernement affirme que son bilan est positif. L’emploi s’est amélioré, mais la productivité s’est effondrée. « .

Productivité de l'Insee

Productivité : chute brutale de la France dans la zone euro

Ce recul est d’autant plus spectaculaire que la zone euro a subi un recul, mais de moindre ampleur que celui de la France. En Europe, la productivité est en retrait d’environ 1 point par rapport à la décennie précédente. Les courbes de productivité en France et dans la zone euro ont suivi quasiment la même tendance jusqu’en 2020. Et après, il y a eu une nette baisse. « , poursuit l’économiste.

A Au contraire, les États-Unis ont gagné des points de productivité malgré les crises violentes qui ont frappé l’économie outre-Atlantique. La productivité par habitant est même supérieure de 5 points à son niveau d’avant la crise sanitaire. Dopés par les gigantesques plans de relance post-Covid de Joe Biden, les moteurs de la productivité américaine tournent à plein régime. A cela s’ajoute l’Inflation Reduction Act (IRA) en faveur de l’industrie verte et de l’innovation.

productivité

Parmi les principaux facteurs invoqués pour expliquer la déconnexion zone euro/Etats-Unis figurent, en premier lieu, les prix de l’énergie et l’explosion des matières premières. La guerre en Ukraine a en effet plongé les industriels européens, et notamment allemands, dans un profond désarroi compte tenu de leur dépendance à l’énergie fossile russe. Les économistes mettent également en avant des investissements moindres en recherche et développement ou des politiques budgétaires plus restrictives. Ces facteurs, communs à la zone euro, expliqueraient environ 20% du retard français, selon les économistes de l’Insee. La question importante est de savoir si cette baisse de productivité va se poursuivre à moyen ou long terme en France. « , déclare Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi à l’institut de statistique.

Une croissance faible et riche en emplois

L’autre facteur pouvant également expliquer une partie de la baisse est le taux élevé de création d’emplois en France. La croissance de l’emploi a augmenté beaucoup plus vite que celle du PIB depuis la pandémie. L’emploi a progressé deux fois moins vite dans la zone euro (+2,8%) qu’en France métropolitaine (+6,1%) sur la période 2019-2023. Dans le même temps, le produit intérieur brut (PIB) a accéléré à un rythme comparable (2,4% en France et 2,5% dans la zone euro).

Cette très forte accélération de l’emploi, notamment dans les services, aurait pu peser sur les gains de productivité. Contrairement à l’industrie, la productivité du secteur tertiaire est souvent bien plus faible, à l’exception des emplois hautement qualifiés. Or, la chute vertigineuse du poids de l’industrie dans l’économie française a contribué à peser sur la productivité. « Une grande partie de la baisse de productivité provient de l’industrie. Or, cette baisse est en décalage avec le discours du gouvernement sur la réindustrialisation », note François Geerolf, qui parle même d’un « effet d’hystérésis ». En économie, cela correspond aux effets persistants d’une crise comme la pandémie, par exemple.

Productivité dans l’industrie française : anatomie d’une chute

L’apprentissage et les micro-entreprises prennent leur envol

Comment expliquer une telle différence d’emploi entre la France et la zone euro ? Le gouvernement français a mis l’accent sur l’apprentissage depuis 2017, d’abord en votant une réforme puis en déployant un important arsenal d’aides.  » L’effet d’alternance est une spécificité française « , souligne Vladimir Passeron. Au total, le nombre de contrats en alternance a bondi de 60 % entre 2019 et 2023. Ces étudiants en alternance sont comptabilisés dans les statistiques publiques sur les emplois à temps plein en entreprise.

Or, ces personnes moins expérimentées suivent des formations et ne sont pas employées à 100 % dans les entreprises. Enfin, l’objectif de réduction du chômage a pu s’accompagner d’une baisse de la productivité. En effet, le chômage a d’abord baissé pour les plus éloignés de l’emploi ou les moins qualifiés. Cela a pu jouer en faveur de la productivité du travail. A l’inverse, le taux de chômage des cadres est resté relativement stable ces dernières années.

Dans le même temps, le nombre de micro-entreprises a explosé depuis la libéralisation du statut de travailleur indépendant. « Phénomène beaucoup plus grave, le travail indépendant explose, avec la prolifération du travail indépendant. Et avec ce phénomène amplifié par les crises, de plus en plus de personnes sont comptabilisées comme employées, mais sans activité ou sous-activité, ce qui alourdit les heures de travail attachées aux indépendants », affirme l’économiste Olivier Passet, du cabinet Xerfi.

Face aux difficultés de recrutement, de rétention de la main d’oeuvre

L’arrêt de l’économie pendant la pandémie pour éviter la propagation du virus a également provoqué des frictions sur le marché du travail. Pour relancer plus facilement l’activité à la levée des confinements, de nombreuses entreprises ont préféré conserver leurs salariés face à des difficultés de recrutement criantes. Contrairement à la grande crise de 2008-2010, le gouvernement français a rapidement mis en place le dispositif de chômage partiel pour des millions de salariés.

Ce vaste filet de sécurité a certes permis aux moteurs de l’économie française de redémarrer plus rapidement. Mais ces rétentions de main d’œuvre ont aussi pu pénaliser la productivité des entreprises. L’une des hypothèses de la baisse de productivité est que les dispositifs de chômage partiel étaient très généreux en France. « , souligne François Geerolf. Ces phénomènes de rétention ont été observés par exemple dans les secteurs de l’aéronautique ou de l’énergie. De même, certains économistes parlent de phénomènes de « zombification » de l’économie liés aux aides Covid. De nombreuses entreprises auraient survécu grâce aux aides « whatever it takes ». Mais ce phénomène semble s’estomper au vu de la montée en flèche des défaillances d’entreprises et de la cure d’amaigrissement du régime budgétaire.

Défaillances d’entreprises : alerte rouge pour les PME et TPE françaises