Un exercice toujours délicat à réaliser, même pour des pilotes expérimentés. Le ravitaillement en vol des avions de chasse est une manœuvre redoutée, au cours de laquelle « il ne faut pas forcer », explique le capitaine Julien, pilote d’un avion ravitailleur A330 MRTT (Multi Role Tanker Transport) de Phénix de l’Armée aérienne et spatiale.
Vendredi, nous avons embarqué à bord d’un des douze MRTT stationnés sur la base aérienne 125 d’Istres (Bouches-du-Rhône) pour une mission de ravitaillement au-dessus de la Grèce. Une opération menée dans le cadre de l’exercice Ramstein Flag24, organisé sous l’égide de l’Otan. Douze nations et 130 avions simulent des combats au-dessus de la Méditerranée jusqu’au 11 octobre, afin de travailler sur « l’interopérabilité » des forces de l’Otan. La France participe avec huit Rafale, un Awacs et un MRTT.
Véritable station-service volante
Les F-16, F-18, F-35 et autres Rafale déployés ont régulièrement besoin de se ravitailler en vol pour accomplir leurs missions sans interruption. C’est là qu’intervient le Phénix, véritable station-service volante. La mission d’aujourd’hui consiste à ravitailler les F-35 de l’US Air Force et les F-16 roumains. Ces avions de combat ne peuvent se ravitailler qu’avec des perches, pas avec des paniers comme le Rafale. Mais pas de problème pour le MRTT qui a la particularité de proposer les deux techniques.
« Lors d’un ravitaillement dit flexible, deux paniers situés dans une nacelle se déploient de chaque côté de l’avion, et c’est le chasseur qui dirige sa perche à l’intérieur », explique le Capitaine Fabrice, du BA 125. Dans le cas d’un ravitaillement rigide, un la perche – appelée le boom – s’étend de 45 degrés à l’arrière de l’avion, et c’est à l’opérateur du MRTT, appelé le boomer, de la diriger dans le trou situé au-dessus de l’avion. Le poteau rigide permet également de ravitailler les gros porteurs, notamment les Awacs. »
L’avion de combat s’approche le plus près possible du MRTT
Nous décollons à 10h30 de la base aérienne d’Istres pour être sur zone à 12h30, heure à laquelle est prévu le premier ravitaillement. Le premier avion, un F-35, s’est présenté un peu tard, à 12h50, à gauche de l’avion comme l’exige la procédure commune à tous les pays membres de l’Otan. A une vitesse de 300 nœuds (environ 550 km/h) et une altitude d’un peu moins de 8 000 mètres, l’avion furtif américain d’une quinzaine de tonnes s’approche au plus près du MRTT, se stabilise, avant de disparaître de l’arrière de l’appareil. Impressionnant.
« Généralement, en trois, quatre minutes le chasseur est au contact du MRTT, mais c’est très variable, car cela dépend des conditions météo et du pilote », poursuit le capitaine Julien. Dans tous les cas, il faut prendre son temps, car le danger est de s’y lancer, alors on y va étape par étape. Il y a même des moments où le ravitaillement n’est pas possible, parce que le pilote ne peut pas se stabiliser, ou qu’il ne peut pas monter dans la nacelle ou attraper la perche. Ce n’est pas grave, c’est prévu, l’avion garde toujours suffisamment de carburant pour retourner se poser si besoin. »
L’approche délicate du F-35
Si la pression est sur les pilotes, elle l’est tout autant sur les baby-boomers. D’autant que pour le Master Sergeant Rémi, c’est la toute première fois qu’il fait le plein du F-35. Et la procédure est plus délicate que pour un autre avion. « Le F-16, par exemple, est beaucoup plus tolérant, nous explique-t-il. C’est un avion entièrement métallique, et ce n’est pas un problème si vous touchez légèrement le cockpit avec la perche avant de le laisser glisser dans le trou. Le F-35 est un avion composite à portes escamotables, il faut donc entrer directement dans le réceptacle. »
Après avoir déployé la perche à l’arrière de l’avion et effectué quelques tests « pour vérifier que tout fonctionne correctement », le Master Sergeant Rémi, installé dans le cockpit avec les deux pilotes, attend le contact, derrière un moniteur. Lorsqu’il a l’avion devant son écran grâce à des caméras placées à l’arrière de l’avion, il le guide à l’aide de lampes positionnées sous le MRTT, qui indiquent au chasseur « avancer, reculer, plus haut ou plus bas. » est dans la position que je considère bonne et que l’appareil est stable, je manœuvre avec la flèche pour atteindre le réceptacle de ravitaillement » poursuit l’opérateur.
Un débit d’une tonne de carburant par minute
La livraison de carburant peut alors commencer. Avec un débit d’environ… une tonne de carburant délivrée par minute. « Ce n’est pas la même chose que lorsqu’on fait le plein de sa voiture », plaisante un soldat dans l’avion. Les chasseurs ayant le plus souvent besoin de deux à cinq tonnes, la manœuvre ne dure généralement pas plus de cinq minutes. « Une fois terminé, poursuit le sergent-chef Rémi, je débranche la flèche, je rétracte la perche que j’éloigne le plus possible du chasseur, puis ce dernier se déplace vers la droite, dans une zone de reformation où il attendra sa patrouille est terminée avant de quitter cet espace. »
Cette première sur le F-35 s’est déroulée sans encombre pour l’opérateur, préalablement formé sur simulateur. Toutefois, le sergent d’état-major Rémi n’est pas entièrement satisfait. « J’ai peut-être pris un angle un peu trop vif et c’était difficile d’établir le contact », avoue-t-il. Mais les cinq tonnes de carburant ont été livrées. Une demi-heure plus tard, place aux F-16 roumains qui apparaîtront en plusieurs vagues.
Le MRTT, un avion multirôle
Le MRTT a survolé cette zone située entre la Sicile et la Grèce pendant environ trois heures au total, effectuant des boucles dans le ciel. « On dit qu’il fait le circuit », explique le capitaine Fabrice. En dessous de lui, un autre pétrolier canadien, qui ne peut faire le plein qu’en flexible, s’est chargé d’approvisionner les Rafale participant à l’exercice. A la fin, le MRTT est resté dans le périmètre jusqu’à ce que tous les combattants soient rentrés à leur base. « Si jamais une difficulté venait à les obliger à rester en l’air, ils auraient à nouveau besoin de carburant » explique le Capitaine Fabrice. C’est pourquoi même s’il n’a livré que 17 tonnes de carburant, le Phénix en a embarqué 104 tonnes au total. Au cas où. Il a lui-même consommé environ 30 tonnes pendant les sept heures de cette mission, puisqu’il vole en moyenne « quatre à six tonnes-heure » précise le sergent-chef Rémi.
Selon ses configurations, le MRTT peut emporter au maximum 110 tonnes de carburant et ainsi assurer les missions de déploiement en opérations extérieures d’avions de combat. Il permet par exemple d’acheminer quatre Rafale vers les Émirats arabes unis, ou deux chasseurs vers la Guyane. C’est aussi un élément central de la dissuasion nucléaire, puisqu’il permet aux Rafale des Forces aériennes stratégiques (FAS) de rester en vol plusieurs heures si nécessaire.
Mais les missions du Phénix ne s’arrêtent pas là, puisqu’il est aussi un avion de transport de personnes et de matériel. Si dans sa configuration de base, il peut transporter jusqu’à 88 personnes avec fret et carburant, en version transport de personnes, il peut transporter jusqu’à 272 personnes. Le MRTT peut également se transformer en avion sanitaire pour le transport de blessés, avec une version Morphée accueillant dix modules de réanimation pour les blessés graves, ou une vingtaine de postes pour une quarantaine de blessés légers.
Lancé en 2014, le programme MRTT prévoit de doter l’Armée de l’Air d’une quinzaine d’avions de ce type d’ici 2025. Les trois derniers Airbus A330-200 sont ainsi transformés en MRTT dans les usines. d’Airbus Defence and Space en Espagne.