Le combat de la mère d’Emmy, une petite fille décédée d’un cancer lié aux pesticides
Rennes (Ille-et-Vilaine), rapport
« J’ai empoisonné mon bébé »» a déclaré Laure Marivain d’une voix brisée, se retenant de pleurer devant la cour d’appel de Rennes. Son mari se tenait à côté d’elle pour la soutenir. La petite salle d’audience était pleine à craquer le mercredi 9 octobre, certaines personnes ont donc dû rester à l’extérieur. La fille des Marivain, Emmy, est décédée d’un cancer en 2022 à l’âge de 11 ans. En cause : l’exposition prénatale de sa mère aux pesticides, liée à son métier de fleuriste.
Emmy est le premier enfant dont le décès est reconnu par le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP), comme le révèle une enquête menée par Monde et la cellule d’enquête de Radio France. LE FIVP a proposé une indemnisation de 25 000 euros à chacun des parents d’Emmy, au nom de la souffrance de la petite fille. Le couple conteste cette somme : les Marivain demandent plus d’1 million d’euros pour compenser les souffrances vécues par leur enfant avant de mourir, ainsi que d’autres membres de la famille, notamment ses frères et sœur, Perle et Evan.
Une audience a donc eu lieu devant la cour d’appel de Rennes pour réexaminer le montant et les bénéficiaires de cette indemnisation. La décision sera prise le 4 décembre. « Ce n’est pas l’argent qui nous motive. Quand tu portes ton enfant mort dans tes bras, ça n’a pas de prixspécifié Mmoi Marivain, à l’unité d’enquête. Nous espérons seulement que les droits de notre fille ne seront pas violés et qu’aucune famille ne subira plus ce que nous endurons. »
Fleurs « criblé de pesticides »
Plusieurs associations, comme le Collectif de soutien aux victimes des pesticides en Occident, ou Phyto-Victimes étaient là pour apporter leur soutien à la famille d’Emmy.
Laure Marivain a été fleuriste de 2004 à 2008, puis représentante en fleurs de 2008 à 2011 dans les Pays-de-la-Loire. LE FIVP admet « le lien causal entre la pathologie (d’Emmy) et son exposition aux pesticides pendant la période prénatale ». Une première pour un professionnel des fleurs.
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Durant sa grossesse, elle a été en contact avec des fleurs et des plantes traitées aux pesticides provenant des Pays-Bas et d’Amérique du Sud. 85 % des fleurs coupées vendues par les fleuristes proviennent de l’étranger, et contiennent des pesticides interdits dans l’Union européenne. « Selon une étude belge de 2019, ces fleurs regorgent de pesticidesplaide son avocat Me Lafforgue, défenseur notoire des victimes des pesticides. Les fleuristes n’ont aucune protection, ils peuvent se blesser avec les épines, donc ces substances pénètrent encore plus rapidement dans le sang. »
Laure rencontre rapidement des problèmes de santé, mais aussi des complications : son bébé prend peu de poids. Elle a ensuite été mise en arrêt maladie. « Quand Emmy est née, elle n’a pas pleuré. Elle était toute violette. L’anesthésiste nous a dit qu’il y avait un problème avec le placenta, qu’il était carbonisé, tout noir »a-t-elle déclaré à la cellule d’enquête de Radio France.
468 jours d’hospitalisation
« Ses analyses de sang n’étaient pas bonnes. Une sage-femme m’a même demandé si j’avais pris des médicaments pendant ma grossesse »a-t-elle déclaré lors de l’audience. Pour autant, Laure Marivain ne boit ni ne fume. Les seuls produits toxiques avec lesquels elle est entrée en contact étaient les produits chimiques présents sur les fleurs qu’elle a manipulées pendant sa grossesse.
Entre janvier 2015 et mars 2022, Emmy a dû lutter contre la leucémie lymphoblastique aiguë B. Avec une rémission complète et trois rechutes, l’enfant a passé 468 jours au Centre Hospitalier Universitaire (Hôpital universitaire) de Nantais. « Elle a enduré des milliers d’actes médicaux : chirurgie, curetage crânien, chimiothérapie… Une véritable torture pour une si jeune enfant. Et puis, elle perdait souvent ses cheveux, et ça la rendait très triste, à tel point qu’on les gardait dans une boîte »» dit sa mère, la voix brisée. Dans la salle, plusieurs personnes ont eu du mal à retenir leurs larmes à l’évocation du calvaire subi par la petite Emmy. « Tu dois le faire savoir au monde, maman »fit la promesse à la petite fille.
Dès l’annonce du diagnostic, l’ancienne fleuriste a déclaré se demander quelle en était la cause : « Les médecins nous ont dit que ça nous était arrivé par hasard, par malchance comme on dit, et qu’il ne fallait pas chercher à savoir d’où ça venait… Mais j’ai fait quelques recherches et j’ai compris que ça pouvait venir les traitements utilisés pour les fleurs. La culpabilité ne m’a plus jamais quitté. »
« Il n’existe aucune réglementation pour limiter les résidus »
Cependant, il est impossible de savoir quelles substances spécifiques ont causé la maladie d’Emmy : « Les fabricants de pesticides pour fleurs sont extrêmement nombreux, et il n’existe aucune réglementation pour limiter les résidus, comme dans l’alimentation. »précise Me François Lafforgue.
« Tout ce qui tourne autour de la chaîne mondiale horticole est catastrophiqueajoute Laure Marivain. Pas de réglementation, pas de limite maximale de résidus de pesticides… Rien de tout cela ne se voit, mais pour moi, c’est un empoisonnement. Quel professionnel des fleurs a conscience d’être lentement empoisonné 6 jours par semaine ? ? Aucun. Mais nous avons perdu notre fille. »
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