Pesant moins d’un gramme, la cigarette pèse pourtant lourdement sur la santé publique. Avec plus de 4 000 substances nocives, cette invention enfume les poumons de près d’un humain sur cinq. Chaque année, plus de huit millions de personnes en meurent. Pour lutter contre le tabagisme, les députés britanniques ont voté mardi un projet de loi qui vise à créer une « génération sans tabac ». Car si la loi est définitivement adoptée, les jeunes nés après 2009 ne pourront jamais acheter légalement du tabac.
« L’âge moyen pour commencer à fumer se situe entre 17 et 18 ans dans presque tous les pays du monde ; on ne commence pas à fumer à 25 ans », souligne Fabienne El-Khoury, chercheuse en épidémiologie sociale à l’Inserm. « Les efforts de prévention doivent se concentrer sur les plus jeunes car le tabagisme commence à l’adolescence. Or, il est bien plus facile d’éviter de devenir fumeur que d’arrêter de fumer », ajoute Maria Melchior, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Les Français toujours accros
Car, dès la première bouffée d’une cigarette, il est difficile de s’en passer. « La nicotine est une drogue extrêmement addictive, au même titre que l’héroïne », rappelle Karine Gallopel-Morvan, professeur des universités à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). En France, malgré une baisse du tabagisme quotidien et de l’expérimentation tabagique chez les jeunes, plus de 15 % fument encore tous les jours à 17 ans.
Mais avec près d’un tiers de fumeurs, la France reste l’un des pires pays d’Europe. Le Royaume-Uni a réussi à réduire la prévalence du tabac. « Dans ces pays, le tabagisme touche un peu plus de 10 % de la population, créer une génération sans tabac est donc possible », constate Karine Gallopel-Morvan. En « ciblant la fenêtre où les jeunes commencent à fumer, le Royaume-Uni pourrait bien y parvenir », estime Fabienne El-Khoury. Les députés britanniques ne sont pas des pionniers en la matière.
Lobbies embusqués
En 2022, la Nouvelle-Zélande a adopté une loi similaire, interdisant la vente de cigarettes à toute personne née après 2008. Mais le nouveau gouvernement conservateur néo-zélandais a fait marche arrière fin 2023. « Ce nouveau gouvernement, plus libéral et plus ouvert aux arguments des Les acteurs économiques ont fait basculer le projet », raconte Karine Gallopel-Morvan. Le projet prévoyait également la fermeture de la plupart des lieux de vente. Cette « grande victoire de santé publique », selon les mots de Fabienne El-Khoury, a donc été enterrée comme pourrait l’être à son tour le projet britannique. Car son succès est loin d’être assuré.
Au-delà de la pression des industriels, Londres devra renforcer ses stratégies antitabac pour réussir, comme elle le souhaite, à sortir sa population de cette addiction. « La vente de tabac aux jeunes est déjà interdite mais il faut encore vérifier l’âge des jeunes qui viennent dans les bureaux de tabac », illustre Maria Melchior. Car les nouvelles lois, aussi positives soient-elles, ne servent à rien si elles ne sont pas respectées. « Si des mesures comme des hausses de prix fortes et régulières ou l’augmentation des places sans tabac sont efficaces, c’est prouvé, elles ne sont en revanche pas respectées en France », constate Karine Gallopel-Morvan.
Civisme, volonté politique et île
Difficile de la contredire quand on croise des voyageurs (et parfois des contrôleurs) tirant goulûment leur cigarette sur tous les quais des gares du pays. La mesure phare du projet du gouvernement britannique, avec sa fameuse « génération sans tabac », ne peut donc venir seule. « Une mesure isolée ne sert à rien, il faut la soutenir », insiste le professeur des universités à l’École des hautes études en santé publique, citant notamment l’aide au sevrage tabagique ou encore le contrôle de l’interdiction de vente de tabac. aux mineurs.
En France, « il y a aussi un projet de génération sans tabac mais les mesures ne sont pas aussi fortes », glisse Maria Melchior qui rappelle que le tabagisme stagne dans le pays depuis 2017. En France, la génération sans tabac n’est probablement pas encore né. Mais nos voisins pourraient bien, grâce à des mesures fortes mises en place depuis des années, un civisme plus intégré (avez-vous vu leurs quais de gare ?) et une géographie avantageuse (oui, c’est plus difficile de faire de la contrebande sur une île), réussir à leur pari. Et, en même temps, sauver 80 000 vies chaque année.
