Le cinéma refuge de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, réalisateurs de « Eat the Night »
En couple dans la vraie vie, les trentenaires Caroline Poggi et Jonathan Vinel ont quelque chose de romantique et de sombre. Comme leur cinéma, bloqué (volontairement) dans l’adolescence, comme un ascenseur qui ne veut pas monter. A quoi bon, que voir dans le monde des adultes ? Des souffrances, des morts et une énième guerre.
Un léger air de dépression flotte sur le jardin de la maison de banlieue où Jonathan Vinel (né en 1988) a grandi, aux portes de Toulouse. C’est dans ce quartier résidentiel, au milieu de villas avec piscine, que les réalisateurs ont tourné leur premier moyen métrage, Tant que nous aurons encore des fusils de chasse (2014), Ours d’or à la Berlinale. L’étrange histoire d’un jeune homme qui, projetant de se suicider mais ne voulant pas laisser son frère sans famille, organise son intégration dans un gang sillonnant la cité dortoir…
Née en 1990 à Ajaccio, Caroline Poggi a fui la Corse pour rejoindre Paris, « sans attendre les résultats du baccalauréat » – elle reviendra sur l’île plus tard. Le jeune Corse et le Toulousain se sont rencontrés lors de leurs études de cinéma, à Paris-VII (Université Diderot). Vinel a ensuite rejoint la Fémis où il a étudié le montage, tandis que Poggi réalisait son court métrage Chiens (2012) avec le Groupe de Recherche et d’Essais Cinématographiques.
Leur film Tant que nous aurons encore des fusils de chasse (2014) contient toute la matrice de leur cinéma : « L’idée du film est venue de quelques courriels très froids que la mère de Jonathan a envoyés. Comme : « Bonjour Jojo, j’espère que tout va bien, il fait chaud ici. J’ai entendu dire qu’Anthony s’est suicidé, c’est triste… » Quand nous étions jeunes, nous étions entourés de suicides et de décès sur la route. Et aussi les jeunes qui ont rejoint Daesh, Jonathan Vinel ajoute : « C’étaient des connaissances lointaines, du lycée ou d’ailleurs, des blancs qui ne vivaient pas dans des environnements précaires. J’ai écrit une lettre sur ces histoires et j’en ai fait un film, Jouer (2011). Tant qu’il nous reste des fusils de chasse est la version fictive de Jouer. »
« Choisir le gang ou la mort »
L’univers Le jeu vidéo a beaucoup influencé Fusils de chasse, dit le réalisateur, lui-même joueur, qui a « j’ai grandi avec GTA » (Grand Theft Auto) : « J’étais aussi dans les jeux d’ascension sociale où l’on franchit des étapes pour devenir une sorte de parrain. Cela renoue avec une cinéphilie et des films de gangsters que j’aime, Coppola, Tarantino, De Palma… » explique-t-il. Vinel a également réalisé un court métrage directement à partir des images de GTA, Martin pleure (2017).
Il vous reste 45.71% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.