« Le cas du RN français illustre la normalisation des partis d’extrême droite en Europe »
En France, le score record du Rassemblement national et l’annonce surprise par Emmanuel Macron de la dissolution auront finalement occulté la progression des forces d’extrême droite à l’échelle européenne. Le succès du Rassemblement National s’inscrit en fait dans un phénomène plus large d’installation de ces formations un peu partout en Europe. Cette année, ces partis étaient en lice dans presque tous les États membres de l’UE. Tous groupes confondus, ils ont rassemblé près de 180 sièges, soit un quart des élus de Strasbourg – presque autant que les conservateurs du PPE.
Aux côtés du RN français, les gros contingents de sièges d’extrême droite proviennent principalement du Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, du PiS polonais, de l’AfD allemande et du Fidesz de Viktor Orbán en Hongrie. Ces cinq groupes représentent à eux seuls plus de la moitié des élus d’extrême droite. Si cette poussée ne constitue pas une lame de fond et si elle reste d’ampleur variable selon les pays, elle confirme largement la consolidation de l’extrême droite dans la plupart des pays de l’UE.
De crise en crise
Dans des pays comme la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, la Bulgarie et la Roumanie, le succès de l’extrême droite a d’abord démontré un vote sanction de la part des gouvernements en place. En France, les électeurs RN ont majoritairement voté sur des questions nationales et ont voulu marquer leur opposition à Emmanuel Macron. Plus fondamentalement, cette popularité des mouvements d’extrême droite s’enracine dans la succession de crises qu’a traversée l’Europe, depuis la crise financière de 2008, la crise des réfugiés de 2015, la pandémie de Covid jusqu’à la guerre en Ukraine. et ses conséquences économiques.
Chacune de ces crises a été l’occasion pour l’extrême droite de capitaliser sur les inquiétudes, la colère et le ressentiment lors des dernières élections européennes. Dans un contexte de crise économique, des partis comme le RN ou l’AfD attisent une nouvelle fois les craintes liées à l’immigration. Cette dernière s’est imposée comme une question centrale en France, en Allemagne, en Pologne, en Autriche et aux Pays-Bas.
Les incertitudes sur la stagnation de la guerre en Ukraine ont permis à l’extrême droite – toujours ambiguë à l’égard du Kremlin – de s’exprimer contre les gouvernements européens qui soutiennent l’effort de guerre de Kiev. , accusant ces derniers de bellicisme et appelant au retrait national, à l’instar de l’AfD allemande ou du FPÖ autrichien. De son côté, le RN français continue de critiquer les sanctions contre la Russie au nom des intérêts économiques du « peuple » français.
Comme beaucoup de ses partis cousins, le mouvement lépéniste veut désormais capitaliser sur la réaction écologique et la colère suscitée par les politiques de transition énergétique. Comme Giorgia Meloni et bien d’autres dirigeants d’extrême droite en Europe, Marine Le Pen et Jordan Bardella font aujourd’hui du « pacte vert » européen l’épouvantail d’une écologie « punitive » coupable à leurs yeux de tous les maux.
Normalisation et diabolisation
Alors que se dessine la perspective d’un gouvernement Jordan Bardella, le cas du RN français illustre, enfin, la normalisation des partis d’extrême droite en Europe. Cette normalisation résulte d’un double mécanisme.
Le premier est celui du travail de réputation qu’ont entrepris nombre de ces partis, comme le mouvement lepéniste, les Fratelli d’Italia ou le PVV néerlandais. Exit les propositions radicales sur l’Europe, les excès verbaux ou les références douteuses à l’histoire : cette nouvelle extrême droite qui se veut « diabolisée » se pare désormais des habits du pragmatisme et de la crédibilité, pour mieux séduire et atteindre ses objectifs. fins. Au prix, souvent, d’incohérences programmatiques et de revirements idéologiques spectaculaires.
Le deuxième mécanisme concomitant est celui de la radicalisation des droites classiques sous le poids de leurs challengers extrémistes. Le virage idéologique de LR en France en témoigne. Cela fait écho à la droite des libéraux aux Pays-Bas ou aux conservateurs autrichiens. Cette convergence place les idées et les thèmes de l’extrême droite au cœur même de l’agenda politique et donne encore plus de légitimité à ces partis.
Avec pour conséquence d’augmenter la probabilité d’alliances. Le mariage d’Éric Ciotti avec le RN s’inscrit aussi dans une tendance européenne de collusion de la droite, observée depuis longtemps en Italie, en Autriche ou aux Pays-Bas, et, plus récemment, en Finlande, en Suède ou en Croatie.
Vers une alliance des droites ?
Une telle alliance des droites pourrait constituer demain un enjeu central des équilibres politiques au sein des institutions de l’Union européenne.
Si les principales forces pro-européennes du PPE, les sociaux-démocrates et les libéraux de Renew conservent encore la majorité, on connaît la forte tentation des conservateurs de Manfred Weber et Ursula von der Leyen de s’allier selon les circonstances avec le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) autour de Giorgia Meloni.
L’arrivée du RN au pouvoir en France en juillet donnerait sans doute au parti lépéniste ce qui lui manque encore en légitimité pour se rapprocher de la CRE. En Europe aussi, la décision d’Emmanuel Macron pourrait précipiter l’alliance des droites.