Le Canada, champion du télétravail
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Le Canada, champion du télétravail

Le Canada, champion du télétravail

Les Canadiens passent 1,7 jour par semaine en télétravail, contre 0,6 en France, selon l’Enquête mondiale sur les modalités de travail (G-SWA). Ils sont ceux qui passent le plus de temps en télétravail au monde.

Le mois dernier, des milliers de fonctionnaires ont manifesté. Sur leurs pancartes, pas de revendications salariales, mais une requête : « En télé-face-à-face (télétravail, NDLR) à 60% ! » Ottawa envisage de les obliger à retourner au bureau trois jours par semaine, mais ils ont pris goût au télétravail. Pourquoi les Canadiens sont-ils si attachés à cette formule ?

Le poids des syndicats

Marie-Colombe Afota, chercheuse à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal, a suivi des centaines de télétravailleurs dans le cadre d’une étude transatlantique. Pour elle, la place prise par le télétravail au Canada s’explique en partie par le pouvoir des syndicats. Le taux de syndicalisation est bien plus élevé qu’en France : 30 % contre 10 % en 2019. « Leur façon de fonctionner diffère sensiblement : au Québec, dans de nombreux emplois, l’adhésion syndicale est obligatoire, elle explique. Certains sont donc très puissants et concluent des accords importants pour les salariés. »

Un autre facteur ne doit pas être négligé : le pays est confronté à une pénurie de main d’œuvre. Les employeurs misent donc sur le télétravail comme avantage concurrentiel. « La pénurie a permis aux salariés de négocier leurs conditions de travail à leur avantage »assure Marie-Colombe Afota.

Les différences culturelles

Les employeurs canadiens étaient également plus enclins à opter pour le télétravail qu’en France en raison d’une culture d’entreprise différente. « Le contrôle managérial est moindre au Canada. L’idée d’une présence physique comme preuve que le travail est fait est beaucoup moins convaincante »dit le chercheur.

Il évoque également une éthique de travail protestante, élevée au rang de valeur morale. « Dans les pays latins, le travail a tendance à s’opposer à la vie personnelle. Les gens ont tendance à se segmenter, et donc à moins télétravailler. Ils sont aussi plutôt proactifs sur le droit à la déconnexion : moins de flexibilité, mais une vraie demande de déconnexion, note-t-elle. Dans les pays anglo-saxons, la vie professionnelle et personnelle peut être mieux intégrée. »

Enfin, la place centrale de la conciliation travail-famille pour les Canadiens pourrait expliquer le succès du télétravail. Pour Tania Saba, professeure de gestion des ressources humaines à l’Université de Montréal, le Québec a été très avant-gardiste sur la question : « Un long congé parental (un congé parental de 65 semaines à partager peut s’ajouter au congé maternité de 18 semaines, ndlr) ont ancré cette culture de conciliation avec laquelle les employeurs doivent jongler. Le travail à distance a ajouté une nouvelle couche. »

Effets nuisibles

Le travail à distance a déjà transformé les villes canadiennes. Le taux de disponibilité des immeubles de bureaux s’élève désormais à plus de 17 %, contre 10 % en 2019. La valeur de ces immeubles est en chute libre : le groupe Altus prévoit par exemple une perte de 19 % en trois ans pour les immeubles du centre. -ville de Montréal. Le gouvernement prévoit également de supprimer la moitié de ses bureaux dans les dix prochaines années. De plus, le travail à distance a entraîné le développement de petites villes proches de la nature, devenues convoitées.

Mais même si les Canadiens semblent avoir adopté le télétravail, cette tendance reste fragile. Le pourcentage de ceux qui travaillent la majeure partie de leur temps professionnel à domicile est passé de 30 % en 2022 à 20 % l’année dernière. Dans un éditorial, le quotidien La presse s’interroge sur ses effets néfastes.

« Les recherches montrent que le télétravail, s’il permet aux employés expérimentés de se concentrer sur leur tâche, peut laisser les nouveaux employés sur le carreau. (…) qui manque de surveillance, souligne le journal. Bref, si on laissait les salariés organiser leurs horaires (…) comme ils le souhaitent, nous risquons de ralentir l’épanouissement des jeunes et des femmes. Et renforcer les inégalités. »

Risques pour les liens sociaux

Quant à ses conséquences à long terme sur la productivité, il est encore tôt pour les observer. Mais au cours de son travail, Marie-Colombe Afota a constaté que le travail à distance s’accompagnait d’une baisse du sentiment d’appartenance à son entreprise, entraînant une perte de sens au travail.

« Tout porte à croire que c’est le lien social, plus que la productivité, qui est mis à mal », souligne-t-elle. Si d’autres liens sociaux compensent cette perte, tant mieux. Mais si cela isole progressivement les individus, c’est un véritable enjeu. »

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Le télétravail dans le monde

Les salariés à temps plein télétravaillaient en moyenne 0,9 jour par semaine en avril-mai 2023 dans 34 pays parmi les plus développés du monde. C’est ce que montre l’Enquête mondiale sur les modalités de travail (G-SWA), réalisée par de grandes institutions internationales.

Les salariés des pays anglo-saxons sont les plus touchés, avec une moyenne de 1,4 jour par semaine, devant ceux de l’Amérique latine et de l’Afrique (0,9), de l’Europe (0,8) et de l’Asie (0,7).

En Europe, les pays ayant le plus recours au télétravail sont la Finlande, l’Allemagne et les Pays-Bas (1 jour), la Grèce est la moins touchée (0,5) et la France juste au-dessus (0,6).

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