Le camping naturiste séduit bien au-delà des écologistes
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Castelnau-Magnoac (Hautes-Pyrénées), reportage
« Vous êtes à l’emplacement… 99. » Chantante et rocailleuse, la voix de Xavier Féraut Seguin envahit l’accueil du camping. L’homme pianote sur son clavier et tend le lecteur de carte bancaire à Marie-Rose, vêtue d’une robe fleurie. « Avant le T.V.A. et les autres taxes étaient calculées manuellement… Quand j’ai installé l’ordinateur, les clients n’ont pas aiméil continue. Certes, on craint que cela coupe toute interactivité. Pourtant, regardez, on discute bien. » Un homme d’une cinquantaine d’années, à la barbe touffue de Père Noël et aux fesses tachées de brun, traverse le paillasson, tend un trousseau de clés au gérant et disparaît aussitôt. « Et n’oubliez pas de scanner ceci QR code pour accéder au planning des activités »ponctue le gérant avant de libérer le vacancier.
Perchée au cœur de la campagne du Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées, la station naturiste de l’Églantière regorge de plaques d’immatriculation hollandaises. Hors de question, ici, de réduire le corps nu à la sexualité : « Une forme de puritanisme s’installe peu à peu dans nos régions.Xavier se lamente, les sourcils cachés sous son béret. Le charnel devient insupportable aux yeux du public, alors que dans le même temps, les jeunes ont accès à la pornographie sans le moindre filtre. Cette dichotomie est absurde et dangereuse. »
Vivre dans vos vêtements les plus simples nécessite de vous permettre d’être vous-même jusqu’au bout des doigts et d’apprendre à vous aimer de cette façon. « Bien au-delà du pénis ou de la vulve, il s’agit d’accepter nos rondeurs, nos rides, notre maigreur et nos cicatrices. »Xavier continue. Il n’oubliera jamais la toute première fois où il a enlevé son déguisement. Il avait alors 9 ans, « trois poils sur le zizi »et sortir de la tente était un véritable calvaire : « J’étais anxieuxl’homme se souvient avec un sourire narquois. Puis j’ai tiré la fermeture éclair, mis un pied dehors… Et deux semaines plus tard, mettre des sous-vêtements était devenu vraiment désagréable pour moi. »
« Vivre nu n’arrêtera pas le changement climatique, mais cela contribue à sensibiliser les gens »
Dans son roman Vivre nu (éd. Grasset), Margaux Cassan nous raconte avec délice l’histoire du naturisme. Dès le préambule, la nudité n’est pas la seule chose au centre du jeu. L’auteur révèle que parmi les précurseurs se trouvaient « anarchistes, artistes et artisans » ayant abandonné « à la propriété privée, aux mœurs matrimoniales bourgeoises, à la société industrielle et à la consommation de viande »Cette doctrine prônait alors un grand retour à la nature que la modernité avait arrachée aux travailleurs.
Aujourd’hui, la France reste la destination de prédilection des naturistes. Une centaine de lieux offrent aux 4,5 millions de pratiquants confirmés le plaisir de se mettre nu pendant leurs vacances. Un secteur qui génère un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros, selon Libérer. Cela pose la question : que reste-t-il des accents écologiques défendus par les anciens du naturisme ? ? Cet art de vivre en harmonie avec la nature a-t-il survécu au poids des décennies et des affaires ? ?
Les pieds plongés dans l’eau claire de la rivière, où s’ébattent truites et goujons, Noémie lit. Les branches de quelques chênes, saules et rosiers sauvages dessinent sur son corps un jeu de clair-obscur aux mille nuances. Le ciel traînant de la veille est désormais débarrassé du moindre cumulus. « Chaque matin je reste une demi-heure en contemplation. J’observe les rouges-gorges, les musaraignes. »
Enfant, se mettre nue n’avait aucun sens politique pour elle. Ayant grandi ainsi, c’était une évidence. Aujourd’hui âgée de presque trente ans, elle perçoit l’engagement écologique qui se cache dans sa pratique du naturisme : « Notre génération a compris que le désastre climatique allait la frapper de plein fouet. Elle a donc cherché des moyens d’agir. Les luttes radicales sont une voie d’accès, le naturisme en est une autre. Vivre nu n’arrêtera pas le changement climatique, mais cela permet de sensibiliser les gens. »assure Noémie, revenue récemment d’un passage au Village de l’Eau, une série de conférences et manifestations contre les mégabassins qui a eu lieu mi-juillet.
Dans les allées du camping, délimitées par d’épaisses haies rustiques où roucoulent les tourterelles, cette prise de conscience n’est pas si évidente. « Politique ? Oh non non »Michel et Annie le disent à l’unisson. Sous la tonnelle de leur luxueuse caravane, une petite télévision diffuse en direct les Jeux Olympiques. « Je crois qu’on peut être naturiste sans être écologiste, et vice-versa. »raconte l’habitante du Pas-de-Calais. Sur le chemin des toilettes, des douches sans portes, Régine se creuse la tête : « Le lien avec l’écologie ? Non, je ne vois pas vraiment »s’excuse l’Angevine, naturiste depuis septembre 1979.
Alors c’est quoi? ? « Sans entrer dans des délires spirituels, être nu implique de perdre la protection – à la fois physique et sociale – entre soi et le monde extérieur.continue Noémie, avec pour seule parure du vernis orange. Ainsi, la perte de cette barrière nous amène à prendre conscience de notre fragilité. » Une plume de faucon pincée entre ses lèvres, Xavier désigne ses baskets : « Ces chaussures sacro-saintes nous rendent arrogants. Marcher pieds nus en forêt demande une attention décuplée. La logique est la même avec la nudité, nos sens sont beaucoup plus en éveil. »
Nouveaux adeptes et montée en gamme
Se faufilant entre les transats, un lézard vert tente d’échapper aux éclaboussures d’un match de water-polo d’une fratrie hollandaise. Autour du bassin, des nombrils spiralés et protubérants côtoient des corps rouges ou entièrement blancs. Julie, de son côté, offre sa peau à l’étoile déclinante : « Le Covid a été un véritable déclencheur. Ma mère vit dans une grande ville des Pays-Bas, dépourvue de verdure, et au moment du confinement, je me suis dit : « Pourquoi s’infliger cette vie, pleine de stimuli sonores et lumineux ? ? » Je ne supportais plus d’être constamment aux aguets. Je souffrais d’une véritable perte de sens. »
Dès la levée des restrictions, Xavier Féraut Seguin se souvient avoir vu deux nouvelles clientèles franchir les grilles du domaine. La première refusait de s’éloigner trop de chez elle, par peur des complications. « Ainsi, en raison du manque d’offre textile dans la région, ils sont venus ici à contrecœur. » A défaut d’expériences brutes, ces vacanciers très intéressés par l’écologie s’étaient déjà rendu compte que nous allions droit vers un mur : « A peine quarante-huit heures après leur arrivée, ils étaient tous ravis. Le naturisme leur apportait soudain ce contact si essentiel avec la nature. »
Les autres, naturistes aguerris, ont fui les grands centres de la côte atlantique, effrayés par la concentration et les risques de contamination. A l’inverse, ils avaient laissé dépérir cet art originel de vivre en harmonie avec la nature. Embrasser un acacia lors d’un bain de forêt, tondre un mouton dans une ferme bio, descendre le Gers en canoë, cueillir des petits pois et les manger dans les champs… « Il y a dix ans, je ne l’aurais pas cru.admet le gérant. Il manque un peu de « caliente » pour des vacances. Et pourtant, les clients repartent avec des étoiles plein les yeux. » Activités « nature » Les offres proposées par son camping rencontrent en effet un vif succès.
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De Montalivet, construit en 1950 dans le Médoc, à La Sablière, près d’Avignon, les grands temples du naturisme ne vendent plus que le droit d’être nu, aux yeux de nombreux vacanciers. La folie de l’expansion, le goudronnage des chemins, la quête des étoiles ont accompagné le rachat de ces établissements par des promoteurs et des groupes hôteliers. Capfun, leader du secteur, assume même la responsabilité d’habiller les clients dès que la rentabilité n’est plus là. « Le service a été aseptiséXavier se lamente. L’optimisation du temps de travail des salariés les prive du temps essentiel pour créer du lien, s’enrichir des différences des autres. C’est le contraste entre le nudisme (vivre nu) et le naturisme (vivre en harmonie avec la nature). »
Attention, prévient-il cependant, il est impossible d’échapper complètement à l’approche commerciale. « Nous ne vivons pas d’amour et d’eau douce. La montée en gamme est inéluctable. Les naturistes ne sont pas des intégristes écologiques : si j’interdis le téléphone, je perds 80 %. % de mes clients. » En revanche, l’homme au béret veillera toujours à préserver cet art de vivre qui lui est si précieux.