le calvaire vécu par Gisèle, droguée par son mari et soumise à des dizaines de viols
Depuis lundi et jusqu’au 20 décembre, 51 hommes sont jugés à Avignon pour viols aggravés. Dominique Pélicot est accusé d’avoir orchestré et filmé les multiples viols de sa femme commis par des hommes recrutés sur un site de rencontres, sur une période de dix ans.
Le procès d’une affaire innommable s’ouvre lundi 2 septembre au palais de justice d’Avignon. Jusqu’au 20 décembre, 51 hommes, dont Dominique Pélicot, un septuagénaire, seront jugés par le tribunal correctionnel départemental pendant quatre mois. « Ma cliente a vécu près de cinquante ans avec quelqu’un qu’elle croyait connaître, mais qui l’a trahie. Elle est en colère. Elle est dévastée. »a confié à franceinfo Antoine Camus, l’un des deux avocats de Gisèle, qui représente également sa fille, Caroline Darian, et plusieurs membres de la famille.
Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire hors du commun, il faut remonter au 12 septembre 2020, lorsque Dominique Pélicot est interpellé pour avoir filmé sous les jupes des clientes dans un supermarché, ce qui entraîne une perquisition à son domicile. Jusque-là, sa femme Gisèle croyait mener une vie tranquille avec lui à Mazan, au pied du Mont Ventoux, dans le Vaucluse. Le couple s’y installe en mars 2013, pour passer sa retraite au soleil. Devant les enquêteurs, lors de sa toute première audition, Gisèle décrit un mari attentionné et attentionné, « un gars génial ».
Sa vie est pourtant rythmée par des trous de mémoire, des épisodes d’amnésie et une grande fatigue qui l’accable souvent. Ces symptômes se sont même aggravés depuis son déménagement dans le sud de la France. La sexagénaire constate également que ses absences n’ont pas lieu lorsqu’elle séjourne auprès de ses enfants, en région parisienne. Cet état lui cause beaucoup d’anxiété, au point qu’elle n’ose plus prendre le train ou la voiture, de peur de perdre le contrôle.
En novembre 2020, alors que son mari est placé en garde à vue pour la deuxième fois, les policiers de Carpentras lui donnent l’explication la plus impensable et la plus méprisable qui soit : ils soupçonnent l’homme avec qui elle est mariée depuis 1973 de lui avoir administré du Temesta, un puissant anxiolytique, sans le lui dire, ce qui la laisse léthargique. Ils expliquent à Gisèle que son mari est accusé d’avoir fait venir des hommes dans leur chambre pour la violer, pendant qu’il filmait ces rapports forcés. Pendant dix ans, entre 2011 et 2020, Gisèle a ainsi subi 92 viols, Les enquêteurs ont procédé à un décompte. Certains des auteurs se sont rendus à plusieurs reprises au domicile du couple. Jugés pour « viol aggravé », ils risquent jusqu’à vingt ans de prison.
Gisèle s’y prépare du mieux qu’elle peut. « Elle veut faire face, mais elle a traversé des moments extrêmement difficiles. », confie Stéphane Babonneau, son deuxième avocat« Sa vie a été détruite. Dans les premiers mois qui ont suivi les révélations policières, elle était dans un état d’incompréhension totale, en état de choc. » Pour les besoins de la procédure, elle a dû se confronter aux photos et vidéos pornographiques sur lesquelles elle apparaît. Les policiers en ont retrouvé des centaines lors des perquisitions. La retraitée n’a pu reconnaître aucun des hommes visibles sur ces images.
Les enquêteurs ont mis au jour un modus operandi récurrent : les hommes étaient recrutés via le site coco.gg, un chat room connu pour son contenu sexuel et illégal, à l’origine d’embuscades tendues aux homosexuels et fermé en juin. « Il n’y a pas de discussion sur la matérialité des faits, ils sont reconnus et seront pleinement assumés lors du procès »L’avocate de Dominique Pélicot, Béatrice Zavarro, l’a déclaré à franceinfo.
Son client, un ancien agent immobilier, affirme que tous ceux qui sont venus savaient que sa femme prenait des médicaments. Selon lui, tout le monde était parfaitement au courant qu’ils avaient des rapports sexuels avec une personne qui dormait avant leur arrivée et qui ne pouvait donc pas donner son consentement. Il affirme cependant n’avoir jamais reçu d’argent. On leur a également donné pour consigne de ne pas la réveiller : venir sans parfum ni odeur de tabac. « Les gens entraient discrètement, chuchotaient, et si la victime bougeait un bras, ils partaient. »« C’est ce qu’a expliqué à l’AFP le commissaire Jérémie Bosse Platière de la police judiciaire d’Avignon fin 2021, lorsque l’affaire a éclaté, avec la publication d’un article dans le parisien.
Certains questionnent Dominique Pélicot lors de discussions en ligne transcrit dans le fichier : « Est-ce que vous le faites encore tester de temps en temps ? » Les viols ont eu lieu plusieurs fois sans préservatif, « quelques « a duré jusqu’à six heures »souligne Stéphane Babonneau. « Elle ne se doute de rien ? » demande un autre. La personne concernée répond : « Non, elle met ça sur le compte de la fatigue. » Dans un échange retrouvé par les enquêteurs, Dominique Pélicot a déclaré avoir donné à sa femme jusqu’à dix pilules en une seule prise. Une telle dose, bien supérieure à la dose recommandée, peut induire un sommeil profond et aurait pu tuer Gisèle, a estimé un expert en toxicologie interrogé dans le cadre de l’enquête. Selon les informations de la Caisse primaire d’assurance maladie de septembre 2020, 450 comprimés ont été prescrits à Dominique Pélicot en l’espace d’une seule année.
Les effets du médicament ne passent pas inaperçus dans l’entourage de Gisèle. Des proches du couple ont raconté aux policiers plusieurs moments où elle ne semblait pas elle-même. Comme ce dîner d’août 2018, durant lequel elle était complètement ailleurs. Son mari l’avait mise au lit, sans qu’elle puisse dire au revoir à son fils et à sa femme, trop épuisés. Ils avaient été choqués de la voir dans cet état. Ou ce soir-là Le 30 décembre 2019, Gisèle et Dominique Pélicot recevaient un couple d’amis, qui la trouvaient très fatiguée, amaigrie, et craignaient qu’elle ait un début d’Alzheimer.
Son dernier moment d’absence remonte à octobre 2020. Gisèle revenait de la région parisienne et il lui avait servi le dîner à 16 heures. Un black-out, jusqu’au lendemain matin. « Dominique Pélicot n’a pas hésité à poursuivre ses actions entre ses deux gardes à vue, la première ayant eu lieu en septembre et la seconde en novembre 2020″commente Stéphane Babonneau, qui souligne qu’elle a également été remise aux agresseurs le soir de son anniversaire.
Gisèle a vécu des années d’errance médicale : elle est allée voir plusieurs médecins et a subi un scanner cérébral qui n’a révélé aucune anomalie. Elle a également consulté deux fois pour des douleurs gynécologiques : les examens ont détecté une inflammation importante du col de l’utérus. Un jour qu’elle se plaignait de ces douleurs, son mari lui rétorqua, sur le ton de la plaisanterie : « Mais que fais-tu de tes journées ? » elle a dit aux enquêteurs. « Elle a vécu dix ans avec des troubles cognitifs, neurologiques et gynécologiques, qui n’ont jamais été liés entre eux, car on ne pensait pas que ce genre de chose était possible.observe Stéphane Babonneau.
Les travaux de la police ont montré que 72 hommes ont participé à ces actes, dont une vingtaine n’ont pas été identifiés. Les accusés au procès ont entre 22 et 70 ans, ont presque tous un casier judiciaire vierge et sont, pour la plupart, bien intégrés dans la société. Parmi eux : un chauffeur de camion, un pompier, un ouvrier, une infirmière, un entrepreneur, un militaire, un journaliste et un plombier.
La plupart d’entre eux reconnaissent les faits. D’autres, minoritaires, affirment ne pas savoir que Gisèle était droguée et pensent qu’elle faisait semblant de dormir. « Ils étaient convaincus, parce que c’est ce que Dominique Pélicot leur avait dit, que le couple était dans un délire sexuel, un fantasme, donc ça ne les a pas surpris. », explique Guillaume de Palma, qui représente six prévenus. « Ils nient toute intention de violer », insiste l’avocat auprès de franceinfo. Cette ligne de défense est « absolument intolérable »croit Stéphane Babonneau, qui assure que le visionnement des vidéos lors du procès invalidera cette hypothèse.
Sa cliente appréhende la confrontation avec l’accusé. Elle s’y prépare, « parce qu’elle sent que ce n’est pas à elle d’avoir honte, qu’elle n’a aucune raison de se cacher »souligne son avocat. Après la révélation des faits, elle a quitté le Vaucluse et vit à l’abri des regards, avec le soutien de ses trois enfants et de ses petits-enfants.
Gisèle a dû repartir de zéro, mais « elle est maintenant en route vers reconstruction », assure Stéphane Babonneau. Celle qui croyait souffrir d’une maladie dégénérative « a retrouvé la perspective d’un avenir : elle n’est plus dans un comportement d’évitement, dans la peur absences perpétuelles. Elle a repris le contrôle de sa vie et les trois dernières années lui ont permis de trouver les ressources pour se préparer à ce procès. »
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