le bilan confisqué de dix ans d'interventions militaires au Sahel
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le bilan confisqué de dix ans d’interventions militaires au Sahel

le bilan confisqué de dix ans d’interventions militaires au Sahel

En juin 2024, la France a annoncé la réduction de son dispositif de prépositionnement de l’armée en Afrique subsaharienne : les effectifs seront réduits à environ 300 hommes au Tchad et une centaine dans chacune des bases existantes au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. À sa manière, cette décision consacre l’échec de dix années d’interventions militaires au Sahel.

Le bilan complet et officiel des opérations Serval et Barkhane reste à dresser. Cette question a alimenté les débats d’un colloque organisé en avril par l’Institut pour la paix de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Déni de l’échec

L’échec de l’opération Barkhane est incontestable si l’on en juge par l’activité des groupes jihadistes au Sahel et la montée au pouvoir des putschistes au Niger, au Mali et au Burkina Faso.

En France, les autorités gouvernementales, militaires et parlementaires refusent pourtant de le reconnaître. Dans une interview à Indiquer Le 23 août 2023, Emmanuel Macron a proclamé le « succès » des interventions militaires françaises au Sahel :

« Si on regarde les choses dans leur ensemble, la France a eu raison de s’engager aux côtés des Etats africains pour lutter contre le terrorisme. (…) Si nous ne nous étions pas engagés, avec les opérations Serval puis Barkhane, il n’y aurait probablement plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr que le Niger existerait encore. »

Quelques jours plus tôt, le 7 août 2023, le ministre des Armées Sébastien Lecornu avait lui aussi réfuté l’idée d’un échec de Barkhane, estimant que « c’est une erreur de dire ça ».

"Le mirage sahélien" : l'échec de l'opération Barkhane Bar

En raison de leur devoir de réserve, les militaires français se sont montrés moins loquaces sur le sujet. La plupart de ceux qui se sont exprimés en public ont néanmoins conclu que le bilan était « globalement positif ».

« Les opérations Serval puis Barkhane, a-t-il ainsi affirmé, ont rempli la mission qui leur avait été assignée. » Au Mali en 2013, les soldats français auraient empêché les jihadistes du Nord de s’emparer de la capitale Bamako, puis permis aux Casques bleus de l’ONU de se déployer à l’intérieur du pays, alors que les troupes de Serval n’étaient pas présentes dans les régions du centre, qui allaient devenir un foyer d’activité pour les groupes insurrectionnels.

Même ceux qui tentent l’autocritique ne vont pas au-delà des leçons déjà mises en évidence concernant l’usage de la force en Afghanistan (optimisme excessif et manque d’anticipation de l’après-crise, méconnaissance des réalités locales et manque de coordination avec les secteurs diplomatique et humanitaire, etc.)

Manque de critiques de la part du Parlement

Depuis Paris, les parlementaires, eux, se sont montrés très peu critiques.

S’il s’agit de la plus grande intervention extérieure de l’armée française depuis la guerre d’Algérie, les opérations Serval puis Barkhane n’ont fait l’objet que de deux rapports apaisants, publiés en 2013 et 2021, qui visaient principalement à accorder un quitus à l’Élysée.

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Le principe d’un engagement militaire dans la lutte contre le terrorisme au Sahel n’a jamais été remis en cause, contrairement aux conclusions de la commission présidée par l’historien Vincent Duclert, qui pointait le « défaut d’analyse » et l' »aveuglement » des décideurs à l’origine de l’opération Turquoise lors du génocide rwandais de 1994.

Il aura finalement fallu attendre 2023 pour qu’un rapport admette timidement « l’échec de la lutte contre le terrorisme au Sahel ». Même ce constat a été aussitôt tempéré par l’affirmation selon laquelle les responsabilités étaient aussi celles des « dirigeants africains eux-mêmes ». Le contraste est d’autant plus frappant avec les parlementaires britanniques qui n’ont pas hésité à épingler les gouvernements de Tony Blair puis de David Cameron pour avoir entraîné leur pays dans des guerres inutiles et coûteuses en Irak en 2003 puis en Libye en 2011 sur la base d’« hypothèses erronées » et d’une « compréhension incomplète de la situation ».

Ainsi, malgré la réforme de 2008, qui leur permet de décider d’une intervention militaire lorsque celle-ci dure au-delà de quatre mois, les députés n’ont jamais mis fin à une opération.

Le 22 avril 2013, lorsqu’il a fallu se prononcer sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention française au Mali, sur les 342 votes exprimés, pas un seul vote « contre » n’a été enregistré. Aucun groupe parlementaire n’a exprimé d’opposition de fond. Les arguments sécuritaires (il faut, ou plutôt il fallait, intervenir pour soutenir un « État failli » et faire face à une situation d’instabilité politique créant un risque de propagation) font autant consensus que les arguments idéologiques (responsabilité, morale ou historique, de la France ; crédibilité sur la scène internationale ; maintien du rang). Les réserves, sur la forme, du Groupe de la gauche démocratique et républicaine (GDR), se sont traduites par l’abstention lors du vote.

Est-il besoin de le rappeler une fois de plus ? Aucun des groupes que l’armée française a combattus au Sahel n’a jamais commis d’attentats à l’étranger. Du point de vue de l’intérêt national et de la lutte contre le terrorisme, les opérations Serval puis Barkhane s’inscrivaient donc dans une guerre préventive, quitte à exacerber le ressentiment des insurgés et leur volonté de se venger par des attaques sur le territoire métropolitain. En 2013, le caractère global de la menace djihadiste avait été très clairement exagéré. Plus de dix ans après, il convient donc de relativiser les déclarations triomphales de l’Élysée selon lesquelles les troupes de Serval puis de Barkhane avaient « empêché la création de califats à quelques milliers de kilomètres de nos frontières », « repoussé des groupes terroristes au Sahel », sauvé « des milliers de vies sur le terrain » et protégé les Français « des menaces d’attentats sur (leur) sol ».

Les raisons d’un déni de réalité

Rares sont les chefs d’État qui reconnaissent publiquement leurs erreurs stratégiques. La France ne fait pas exception. Mais d’autres raisons expliquent le déni de réalité de l’exécutif et de son entourage.

En effet, le continent africain reste la dernière terre d’élection et d’exaltation de ce qui reste d’une puissance moyenne. La grandeur et les obligations historiques de la France envers ses anciennes colonies sont donc invoquées pour contrer les analyses trop défaitistes d’intellectuels parfois soupçonnés de sympathies « islamo-gauchistes », voire d’indulgence pour les terroristes. L’argument fatal est qu’après tout, d’autres ont fait pire. Ainsi, ces opérations ont été bien moins coûteuses et meurtrières pour les civils que les interventions militaires des États-Unis en Afghanistan. Le retrait des troupes françaises du Sahel a pu être humiliant, mais il n’a en rien été comparable à la débâcle de l’armée américaine à Kaboul lorsque les talibans ont repris le pouvoir en 2021.

Moins directs dans leur déni, les officiers supérieurs continuent d’insister sur le bilan positif des premiers mois de l’opération Serval, véritable vitrine de l’art de faire la guerre à la française. Elle a notamment démontré les mérites d’une chaîne de décision courte, les avantages du prépositionnement des troupes en Afrique et une grande agilité logistique pour surprendre et distancer l’ennemi dans des délais très courts grâce à la mise en place d’un pont aérien couplé à des moyens aéroterrestres. Selon la formule consacrée par les chefs de Serval et de Barkhane, l’armée française aurait ainsi remporté de nets « succès tactiques » et ne serait pas responsable de l’absence de vision politico-stratégique à long terme.

Traduction brutale : A défaut de vaincre les organisations jihadistes au Sahel, les armées auraient au moins réussi à exécuter leurs principaux chefs. Les contradictions du recours aux assassinats ciblés sont néanmoins mises en évidence par la doctrine française de contre-insurrection édictée en 2013, qui souligne que les stratégies d’usure sont contreproductives car « la base populaire dont disposent les insurgés leur fournit un réservoir de ressources humaines quasi inépuisable ».

Par ailleurs, on peut se demander pourquoi l’état-major a décidé d’engager autant de forces terrestres alors que 80 % des pertes infligées aux jihadistes ont été le résultat d’attaques menées par avion, hélicoptère ou drone. En réalité, il s’agissait d’un combat sans fin et d’une guerre ingagnable contre un ennemi insaisissable et invisible. Pour reprendre une expression souvent utilisée par les Américains en Afghanistan, les militaires français n’ont fait que « tondre la pelouse » en attendant que le « dogfight » repousse, toujours plus abondant.

Sur le plan stratégique, l’armée française aurait pu se retirer dignement de la zone au moment de l’élection du président malien Ibrahim Boubacar Keïta en 2013, voire après l’élimination des chefs jihadistes Abdelmalek Droukdel en 2020 puis Adnan Abou Walid al-Saharaoui en 2021. Au lieu de cela, l’Élysée a persisté jusqu’au bout et a dû recourir à des départs précipités, sous la contrainte et à la demande expresse de putschistes de plus en plus hostiles à l’ingérence de l’ancienne puissance coloniale.

La faute des autres

Il est plus facile d’imputer la perte d’influence de la France au Sahel à la propagande russe ou salafiste. Les autorités ne manquent pas non plus de souligner les manquements des partenaires européens, qui n’ont pas voulu soutenir les opérations Serval puis Barkhane avec les moyens demandés. Enfin, et surtout, elles insistent désormais sur l’incurie des gouvernements de la région, un argument qui, rétrospectivement, paraît d’autant plus curieux que la faiblesse des États sahéliens avait été invoquée pour justifier le lancement de l’opération Serval.

Reste à savoir dans quelle mesure l’échec de Barkhane constituera une rupture, quels que soient les récits de l’Élysée sur le « succès » de ses engagements dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le gouvernement dit désormais vouloir réduire sa présence militaire au sud du Sahara. Mais la réduction des effectifs de l’armée française sur le continent est une tendance lourde. Au moment des indépendances, ils étaient déjà passés de 60 000 hommes en 1960 à moins de 7 000 en 1965, en grande partie, il faut l’avouer, du fait de l’intégration de personnels africains dans les jeunes armées nationales. Plus de soixante ans après, les militaires français sont toujours présents en Afrique et ne semblent pas prêts à renoncer au principe de bases permanentes qui devraient leur permettre de continuer à s’entraîner et de rester aguerris après leur départ d’Afghanistan puis du Mali, du Burkina Faso et du Niger.



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Ajoutons à cela que le fiasco de l’opération Turquoise au moment du génocide rwandais en 1994 n’a pas empêché la mise en place de l’opération Barkhane vingt ans plus tard. Aujourd’hui, rien ne prouve que l’Élysée ait réellement tiré les leçons de ses échecs, à en juger par la poursuite de la coopération militaire avec le Gabon, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, toutes anciennes colonies. Le dernier mot revient certainement à ce général qui, jusqu’à récemment, vantait les mérites de la formation proposée par l’armée française, « comme nous l’avons fait dans Barkhane ».

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