La bande new-yorkaise emmenée par James Murphy a offert dimanche, au terme de ces cinq jours de décibels, un concert à la hauteur de sa réputation, une orgie sonique où la mélancolie rivalisait avec des pics d’énergie phénoménaux.
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Depuis leur concert mémorable à l’Olympia en septembre 2017, qui nous avait laissé bouche bée, LCD Soundsystem a beaucoup tourné, partout dans le monde. Mais la France n’a jamais été sur la carte. Leur venue cet été pour trois dates, dont Rock en Seine (après Beauregard et les Nuits de Fourvière) en clôture le dimanche 25 août, a donc suscité une ferveur particulière.
Cependant, depuis sa renaissance avec Le rêve américainle quatrième album inattendu sorti en 2017, six ans après que le groupe new-yorkais se soit auto-saboté en grande pompe au Madison Square Garden, James Murphy et sa bande n’ont rien sorti, ou presque (à part le single de 2022 Nouveau Corps Rhumécrit pour le film Bruit blanc par Noah Baumbach).
Pas de nouveaux titres et beaucoup de concerts ? L’équation est simple pour l’exigeant et hyperactif James Murphy : conjurer l’ennui de la routine en revisitant, malaxant, voire en réinventant le répertoire existant.
C’est ce qui nous a frappé dimanche soir à Rock en Seine, sous l’imposante boule à facettes, dans un set mêlant puissance démente et mélancolie poignante, qui empruntait à toute leur discographie. Plus que leur son qui restait d’une précision diabolique, plus que leur science ultra maîtrisée des montées et explosions d’énergie jouissive, c’est cette fois le jeu, plus ou moins subtil ou emphatique, avec leurs propres morceaux, que l’on retiendra.
Donc Tu voulais un coup a été présenté dans une version épurée où la voix de James Murphy régnait en maître – lui qui assure que sa carrière de chanteur est «purement accidentel » –, avant que la chanson ne déraille à la fin dans une frénésie folle. Ce soir s’est terminé, lui aussi, en apothéose, le sautillant et coiffé d’Al Doyle (qui officie aussi chez Hot Chip) faisant hurler sa guitare en la jetant contre les amplis, lorsqu’il cisaillait ses six cordes sur Mouvementpropulsé par le rythme implacable du batteur Pat Mahoney et du bassiste Tyler Pope (dont c’était l’anniversaire, nous a dit James Murphy lors des présentations).
Le prix, cependant, est allé au premier coup immortel Je perds mon avantage (2002), un discours cinglant, sarcastique et toujours d’actualité dans lequel James Murphy s’en prend aux snobs du hype, du rock et de la danse, et à leur « « nostalgie de seconde main » pour les années 1980.
Construit entièrement sur le rythme de base d’un beatbox trouvé dans une brocante et proposé par Ad Rock des Beastie Boys (informations glanées dans le formidable livre choral Retrouve-moi dans la salle de bain), le titre, accueilli par les hurlements de joie du public, a donné lieu à une version épique. Rayée d’effets scratch, elle s’est enrichie de clins d’œil, citant Suicide (Cavalier fantôme ?), Daft Punk (Rocher robotiquene pas réussir à jouer Daft Punk joue chez moiattendu en vain par beaucoup) et Yazoo (Ne pars pas), chantée par la claviériste Nancy Whang.
Si Rock en Seine est ce soir l’épicentre de la fête imaginaire que LCD Soundsystem organise en version live, une soirée punk-funk de tous les diables, force est de reconnaître que James Murphy est d’humeur maussade et renfrognée. Il ne sourit quasiment pas (une seule fois, largement, devant la foule), et s’il donne de grands coups de pied et de jambes avec un humour façon kung-fu, il semble agacé à plusieurs reprises par de petits détails que cet ours hirsute règle à coups de bras et de froncements de sourcils broussailleux.
On comprend enfin les raisons de son expression assombrie lorsqu’il annonce, en préambule au poignant Quelqu’un de grandécrit à l’origine pour le décès de son psychanalyste, dédie cette pièce à un ami cher, Justin Chearno, décédé subitement ces jours-ci à l’âge de 54 ans. En guise d’introduction à New York je t’aimeJames Murphy évoquera à nouveau la mémoire de ce musicien et grand amateur de vins naturels, qui fut partenaire du bar à vin The Four Horsemen qu’il a ouvert à Brooklyn en 2015, indiquant « il nous manque beaucoup ».
LCD Soundsystem, le groupe qui a appris à danser le rock, est connu pour ne jamais jouer deux fois la même setlist. Mais depuis quelques années, il se sacrifie à une routine de concerts de fin, qui se terminent tous inévitablement par Tous mes amis. Ce signal de la chute du rideau est arrivé un peu trop tôt dimanche, le public, qui dansait et échangeait des sourires radieux, ne l’avait pas vu venir, après onze chansons sans interruption. Sur cette conclusion, James Murphy s’est montré particulièrement possédé, lorsqu’il a demandé à plusieurs reprises dans le refrain « Où sont tes amis ce soir ?« Certains sont six pieds sous terre. Raison de plus, malgré les larmes, pour célébrer la vie.