Laurent Delahousse, l’homme qui a devancé les stars de l’actualité au poste
PROFESSION DU JOKER (6/7) – Il devait être le farceur de David Pujadas ; il succède finalement à Béatrice Schönberg, renouvelle entièrement le journal télévisé de France 2 et devient la dernière star du 20 Heures.
« Il y a des gens qui veulent tout de quelque chose, d’autres quelque chose de tout. Moi, je veux tout de tout. » Laurent Delahousse avait-il en tête cette réflexion d’Aristote Onassis en quittant M6 pour devenir le joker de David Pujadas au 20 Heures de France 2 ? En cinq mois, le journaliste obtiendra tout : la titularisation, une refonte complète de l’actualité et le statut de star de l’actualité du moment.
Tout commence en 2006. David Pujadas, bien installé dans ce fauteuil périlleux à 20 Heures (une dizaine de présentateurs sur France 2 depuis 1987 où TF1 ne connaissait que Patrick Poivre d’Arvor), avait besoin d’un remplaçant. Carole Gaessler est partie, lassée des horaires insolites. Dans la fonction publique, les fenêtres de transfert sont réglées en interne. La rédaction regorge de jeunes journalistes qui souhaitent ce métier. Tout le monde veut prendre la place. Arlette Chabot, directrice de l’information, n’est pas une femme habituelle. Elle décide de recruter en externe. Et jette son dévolu sur Laurent Delahousse, journaliste de 35 ans. Le présentateur de « News Secrets » incarne avec ses mèches blondes et sa voix chaleureuse l’enquête – parfois people – de M6. La rédaction de France Télévisions est tendue. « Au-delà de la fascination adolescente d’Arlette Chabot pour tout ce qui se fait ailleurs et qui est forcément mieux qu’à France 2, je m’inquiète qu’on recrute Laurent Delahousse alors qu’on refuse d’embaucher des pigistes qui travaillent ici depuis deux, trois ou même huit ans.», lâche-t-il Libérer un représentant syndical. Atmosphère.
Le cas Béatrice Schönberg
Une tension palpable renforcée par la situation de l’autre présentateur de la Grande Messe. Le siège de Béatrice Schönberg, qui anime le journal du week-end depuis 1997, est de plus en plus éjectable : son mari, Jean-Louis Borloo, ministre de la cohésion sociale, va faire campagne pour Nicolas Sarkozy. La rédaction est en ébullition : bien que professionnelle et inattaquable en fait, elle doit être licenciée. Arlette Chabot tergiverse, tergiverse puis décide : la journaliste doit céder sa place à Françoise Laborde lors de «cette parenthèse« . La parenthèse ne se fermera pas.
Le 30 octobre 2006, Delahousse, costume bleu brillant, sourire ultra-éclatant et regard malicieux, ouvre son premier JT de 20 heures. Si le choix des sujets est classique (aspects sécuritaires, économiques et internationaux importants), le novice s’empare de l’appareil photo. Son regard suit les mouvements avec fluidité et délectation. David Pujadas peut trembler : une star est née. Delahousse nie. « Je considère ce statut comme une aventure ponctuelle et momentanée, pendant les vacances de David Pujadas et avant le retour de Béatrice Schönberg au lendemain de l’élection présidentielle. Il n’y a pas de rivalité entre nous», explique-t-il à Figaro. Car en attendant, ce n’est pas Françoise Laborde qui hérite du remplacement de Béatrice Schönberg mais… Laurent Delahousse. Les cartes ont été rebattues : le joker ne prend pas la place du roi, mais de la reine.
JT remanié
A peine intronisé, Delahousse refond radicalement le journal. Il y a toujours de l’actualité, mais la partie magazine prend de plus en plus de place. « 13h15 dimanche », puis samedi. « 20h30 le dimanche », puis le samedi. Entretiens face à face. Errances. Il ne peut plus la partager tel qu’il l’incarne. Il a annoncé la couleur le 30 octobre à Figaro. « Mon expérience devient un plus dans l’approche de la deuxième partie du JT qui est moins « news » et plus magazine.» La touche Delahousse ? De longues questions, mi-psychologiques, mi-philosophiques. Des postures très particulières, faussement détendues, parfois lascives. Une fascination pour ce qui brille et ce qui réussit. Ça marche : longtemps abandonné, le JT de France 2 se rapproche. L’écart se réduit de plus en plus, surtout vendredi soir. Le 4 septembre 2015, Delahousse est sur le point de dépasser Chazal : 10 000 téléspectateurs séparent les deux chaînes. Tremblement de terre. Trois jours plus tard, la Une écartait la star de l’actualité. Il ne reste que lui.
Le statut de Laurent Delahousse et ses scores lui permettent d’exiger la délégation des journaux du midi et d’éparpiller ses farceurs (11 en quinze ans). Mais surtout être le plus ancien présentateur de JT (17 ans de présence au total). « Serai-je dans le secteur de la télévision dans dix ans ?il faisait semblant de s’interroger Le Figaro en 2006. Ce n’est pas sûr.» Il faut toujours se méfier des « visages de joker ».