En ce jour pluvieux de mars, à deux pas du célèbre théâtre équestre du Zingaro, des chants d’enfants résonnent depuis un improbable chapiteau planté, dans un espace encore en construction, au cœur de l’ancien fort militaire d’Aubervilliers. 120 élèves d’une école primaire de Seine-Saint-Denis assistent, des étoiles pleins les yeux, au spectacle intimiste d’Angélique Kidjo, accompagnée d’un seul musicien. Ils reprennent en chœur Kéléle, l’un des tubes de la chanteuse star d’origine béninoise qui, à 63 ans et auréolée de cinq Grammy Awards, les récompenses les plus prestigieuses de l’industrie musicale, fête ses 40 ans de carrière.
Un projet réunissant 1 500 étudiants
Un spectacle pédagogique, dans lequel les chansons s’entrelacent avec les questions préparées par les enfants. Quand Sofiane, 10 ans, lui demande ce qu’elle fait de son temps libre, Angélique Kidjo évoque sa passion pour la cuisine. « Ça me détend ! J’aime mélanger les cuisines, les épices, nous avons toujours des ingrédients en commun dans nos cultures, ils ne s’opposent pas. » Une philosophie qui s’applique parfaitement à sa musique.
Mais ces enfants ne sont pas là uniquement pour découvrir son monde. Ils préparent un grand spectacle. Nous sommes au Point Fort d’Aubervilliers, une nouvelle scène homologuée dédiée aux musiques du monde, inaugurée en 2021 et toujours en construction. Porté par l’association Villes des Musiques du Monde, il accueillera très prochainement 440 m2 bureaux et salles de répétition.
C’est ici que s’organise un ambitieux projet d’éducation populaire : la Cité des Marmottes-Minots. Existant depuis 2008, et grandissant chaque année, il rassemble de nombreuses classes d’écoles publiques autour des musiques populaires de toutes cultures, invitant à chaque fois un artiste à accompagner la création d’un concert final d’envergure.
Cette année, c’est Angélique Kidjo qui a accepté d’être la marraine du projet, réunissant 1 500 élèves de 63 classes de Seine-Saint-Denis, Paris et Marseille. Et ce ne sera pas un mais cinq concerts qui clôtureront l’année dans des salles prestigieuses : le Théâtre du Châtelet à Paris et l’Opéra de Marseille.
Grande innovation cette année, le Cojo (Comité Olympique) a labellisé le projet Olympiade culturelle. « Cela nous permet d’impliquer les 50 musiciens de l’Orchestre national d’Île-de-France, et de créer des échanges entre 100 jeunes parisiens qui se produiront à Marseille et 100 jeunes marseillais qui découvriront le Châtelet »précise Sabrina Ouis, coordinatrice du projet pour l’Île-de-France depuis douze ans.
Le dispositif prévoit une quinzaine d’ateliers par classe, animés par une dizaine de musiciens formés au répertoire d’Angélique Kidjo, et une répétition finale le jour J. « Au début, certains enfants sont un peu timides, n’osent pas chanterexplique Sabrina Ouis. Mais les musiciens parviennent toujours à trouver des astuces pour les entraîner tout en douceur vers la musique, en jouant sur les rythmes et les percussions corporelles. Le déclic, c’est la rencontre avec l’artiste, comme aujourd’hui. Quand je les revois au concert final, ils sont transformés, heureux d’offrir un beau moment à leurs parents. »
Le collectif de chorale est également très important. « Ils apprennent qu’ils peuvent compter les uns sur les autres, que même s’ils oublient un mot, leurs amis sont à proximité et que cela n’a pas d’importance. On essaie vraiment de les rassurer pour qu’ils s’amusent, tout en les mettant dans une vraie position artistique. »
« L’arme la plus puissante est de chanter une berceuse »
Avec deux concerts par jour, Angélique Kidjo, qui vit à New York, est là pour deux jours de rencontres avec ses jeunes chanteurs. « C’est toujours important pour moi de travailler avec des enfants. je me mets à leur placedit l’artiste. À leur âge, je n’arrêtais pas de poser des questions ! Dans ce monde de technologie, nous avons tendance à oublier que les enfants ont aussi besoin d’entendre notre voix. Que le téléphone et les ordinateurs n’ont pas toutes les réponses, et que l’amour que nous leur donnons passe par l’écoute et le partage. » Elle n’arrête jamais d’utiliser la musique pour ouvrir les portes.
« L’arme la plus puissante est de chanter une berceuse. Parce que cela vous ramène à votre enfance. En ce moment de sécurité et d’amour où l’on ne sait pas encore que le monde est jonché de monstrespoursuit celle qui est également ambassadrice de l’Unicef depuis vingt et un ans. J’ai vu enfants soldats, garçons et filles violés pendant les conflits. J’ai réalisé que lorsque je leur chantais une simple berceuse, quelque chose en eux se détendait. Soudain, on voit l’humain réapparaître dans ce regard vide de douleur et de renoncement à la vie. »
Si, ici, le contexte est bien moins dramatique, l’objectif d’Angélique Kidjo n’est pas si différent, et va bien au-delà des notes. « La musique est pour moi le meilleur moyen de les toucher au-delà des mots pour leur faire prendre conscience de leur propre importance. Faites-leur comprendre qu’ils sont libres d’être des enfants et de vivre dans un pays libre. C’est parfois difficile, mais c’est un pouvoir formidable. »
Une classe de CM1 est présente sur les bancs du chapiteau. Venu de Stains, chacun a déjà commencé à travailler sur trois pièces, à raison d’une heure par semaine. Une cadence pour maîtriser sept chants du répertoire d’Angélique en fon, une des langues du Bénin, et Petite fleurune chanson en français reprise par Sidney Bechet.
« Ça nous apprend la musiquese réjouit Oren, 9 ans, et ça nous permet de chanter dans une langue que je ne connaissais pas. C’est pas comme la musique aujourd’hui, j’écoute du rap, Favé ou Ninho, mais c’est bien ! » Il est impatient et très fier de monter sur scène. « Je n’ai pas le trac, je suis prêt à tout ! » Je vais essayer de donner le meilleur de moi-même pour le concert ! »
Même impression pour Djena, 10 ans. « Je n’avais jamais entendu parler du Bénin auparavant. Cela me fait découvrir des pays et des langues. » Et pour Maeva, 10 ans, cette rencontre a été un choc. « D’habitude, j’écoute des chansons tristes, comme celles de Billie Eilish. La première fois que j’ai écouté Angélique Kidjo, j’ai été époustouflée, j’ai ressenti de la bonne humeur !»
« Sensibiliser à l’apprentissage des langues étrangères et autochtones à l’école républicaine est pour nous un enjeu important.explique Kamel Dafri, directeur de l’association Villes des musiques du monde depuis vingt-quatre ans. La musique est un excellent moyen d’y parvenir. Le langage des artistes fait écho à celui des enfants qui composent ce territoire de Seine-Saint-Denis, où 122 langues sont parlées. Nous souhaitons agir sur des territoires stigmatisés et proposer aux enfants une aventure commune, en profitant de l’enthousiasme créatif. Dans les débats sur l’intégration et l’éducation, nous représentons peut-être une petite partie de la solution. » A la fin du concert, les enfants chantent une dernière chanson d’Angélique, Ominira, souriez jusqu’aux oreilles. Son titre signifie « Liberté ».
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Les cinq concerts
Montreuil : Samedi 22 juin, à 16h, au City Festival au Parc du Montreau (entrée gratuite)
Paris : Dimanche 23 juin, à 15h15 et 18h45, au Théâtre du Châtelet
Marseille : Mercredi 26 juin, à 18h30, et jeudi 27 juin, à 18h30, à l’Opéra