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L’arrivée de l’Africa Corps au Niger consacre le rapprochement de la junte avec la Russie

Capture d'écran de la RTN, la télévision nationale du Niger, lors de la diffusion d'un reportage sur l'arrivée des militaires du Corps Afrique à Niamey, le 11 avril 2024.

L’avion gros-porteur blanc orné du drapeau russe a atterri mercredi 10 avril à l’aéroport de Niamey, filmé par les caméras des médias d’État russes. Plongé dans l’obscurité de la nuit nigérienne et sous le bruit assourdissant des moteurs de l’avion, le reporter de l’agence de presse russe RIA Novosti commente l’arrivée des premiers militaires du Corps Afrique dans le pays, une centaine d’hommes qui signent officiellement le rapprochement entre Moscou et la junte dirigée par Abdourahamane Tiani.

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« Cela signifie que la Russie revient en Afrique », dit-il, même si Moscou est déjà présent de la Libye au Soudan, du Sahel à la Centrafrique. Après le Mali et le Burkina Faso, le troisième pays sahélien dirigé par des militaires putschistes assume encore davantage son appartenance au camp pro-russe d’Afrique de l’Ouest.

L’arrivée de l’Ilyushin Il-76 a été révélée vingt-quatre heures plus tard par la télévision d’État nigérienne, qui a précisé qu’il avait à son bord « du matériel militaire de dernière génération et des instructeurs du ministère de la Défense » chargé notamment d’installer un « système de défense anti-aérienne ». Diffusant des images du chef de la junte, le média d’Etat précise que cette arrivée fait suite à un entretien téléphonique « historique » entre Abdourahamane Tiani et Vladimir Poutine, le 26 mars. Dernier signal d’un rapprochement intense entre les deux pays.

Appel du pied

Redouté par les Occidentaux, ce virage se dessinait depuis fin 2023. En décembre, Niamey accueillait pour la première fois un responsable russe en la personne du puissant vice-ministre de la défense, le général-colonel Younous-bek Evkourov. Les deux pays ont alors signé un « protocole » secret de défense pour le « renforcer la coopération » sûr. Un mois et demi plus tard, le chef du gouvernement de transition nigérien, Ali Mahamane Lamine Zeine, à la tête d’une importante délégation ministérielle, se rendait en Russie avant de se rendre en Turquie, en Iran et en Serbie.

En mars, les félicitations flagorneuses du chef de la junte nigérienne à Vladimir Poutine pour son « brillante réélection » et son « éclatante victoire » Lors de l’élection présidentielle – sans adversaire de taille, le dirigeant russe s’est octroyé un cinquième mandat avec 87 % des voix – sonnait comme un appel au vote. « Le Niger, qui mène un combat historique pour sa souveraineté et son développement, peut compter sur votre engagement personnel et celui de la Fédération de Russie pour réussir son combat »poursuit le communiqué nigérien.

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« L’arrivée du Corps Afrique au Niger marque la poursuite de l’expansion de la Russie dans la région, soutenue par l’institutionnalisation de l’Alliance des États du Sahel. (AES, nouvelle entité qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger)sur lequel Moscou exerce une influence significative, analyse le chercheur Maxime Audinet, spécialiste de l’influence russe à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem). On assiste à l’incarnation de la présence russe au Sahel post-Evgueni Prigojine, orchestrée par les renseignements militaires russes (GRU) et le ministère de la Défense, qui tentent de reprendre le contrôle de l’héritage de Wagner en Afrique. »

Mort en août 2023 dans le crash de son avion, le patron de la compagnie paramilitaire russe, qui avait été l’artisan de l’expansion de Wagner en Afrique, s’est félicité du putsch au Niger en juillet. Dans un enregistrement audio diffusé sur les réseaux sociaux, on l’entendait saluer la chute du président « pro-français » Mohamed Bazoum, qui selon lui n’était pas « rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre les colonisateurs qui tentent de lui imposer leurs règles de vie ». A Niamey, des manifestants qui se réjouissaient du renversement de Mohamed Bazoum – toujours séquestré par la junte huit mois et demi plus tard – ont brandi des drapeaux aux couleurs de la Russie.

« Marché de dupes »

L’AES constitue désormais l’une des zones d’influence privilégiées de Moscou en Afrique. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays en proie aux groupes jihadistes et désormais aux mains des putschistes, ont annoncé leur sortie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et ont tous rompu leurs alliances avec la France, avant de conclure des partenariats militaires avec La Russie, censée leur permettre de mieux lutter contre le terrorisme. Une promesse qu’ils ne sont pas parvenus à tenir pour l’instant : dans chaque pays, le nombre d’attentats et de victimes a augmenté ces derniers mois.

Selon Maxime Audinet, « Le Niger semble à ce stade s’engager sur la voie burkinabè, marquée par la formation militaire et la constitution d’un modèle de garde prétorienne appuyé par un système informationnel d’influence chargé de protéger et de légitimer la junte », plutôt que sur le déploiement de soldats sur le terrain pour lutter contre les attaques terroristes, comme au Mali.

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Avant d’accueillir les soldats russes, le Niger avait à son tour rompu ses liens avec ses principaux partenaires occidentaux. D’abord avec la France, dont la junte avait exigé le départ de 1 500 soldats et de l’ambassadeur dès sa prise de pouvoir. Les États-Unis, malgré leur ton beaucoup plus conciliant, ont fini par être eux aussi invités à quitter le pays.

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Le 16 mars, Niamey estimait que la présence américaine était « illégal » et dénoncé  » avec effet immédiat «  l’accord de coopération militaire signé avec Washington en 2012. « marché de dupes », ont ajouté les putschistes dimanche 7 avril. Washington doit désormais fermer la base d’Agadez, où des drones et 1 100 militaires sont principalement chargés de missions de renseignement et de surveillance.

L’Allemagne compte encore une centaine de soldats au Niger, engagés dans la formation des forces spéciales. Environ 300 soldats italiens sont également présents dans le pays dans le cadre de la coopération bilatérale. En novembre, Niamey a mis fin à sa principale coopération avec l’Union européenne (UE) en abrogeant la loi de 2015 sur le trafic de migrants. L’augmentation de la migration vers l’Europe via le Niger a immédiatement recommencé à augmenter. Une raison de plus d’inquiéter l’UE et un moyen de pression supplémentaire pour Niamey dans son bras de fer face aux Occidentaux.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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