À partir de 2016, des diplomates américains et canadiens ont déclaré avoir été frappés par de mystérieux troubles. Une unité des services de renseignement militaires russes serait à l’origine de cette opération, selon une enquête de plus d’un an menée par trois médias.
« Lisez notre enquête ce soir, vous verrez, c’est mieux qu’une série Netflix »a mystérieusement annoncé dimanche soir le journaliste d’investigation Roman Dobrokhotov, sur son compte X. Et en effet, ce lundi à l’aube, un article de l’agence d’investigation The Insider, réalisé en coopération avec la chaîne CBS et le journal Le Spiegel, publie une enquête digne d’un thriller sur le mystérieux « syndrome de La Havane », qui touche depuis dix ans des dizaines de diplomates et d’officiers du renseignement américains, provoquant des troubles invalidants, comme des nausées, des vertiges, et des pertes de mémoire, d’orientation et de coordination. Et révélant dans de nombreux cas de graves atteintes neurologiques.
Après dix ans de tâtonnements de la part des agences de sécurité américaines, qui n’ont jamais donné d’explication crédible à ces phénomènes mystérieux, le titre accusateur de The Insider est sans détour : «Comment le GRU (initiales du renseignement militaire russe) transforme les diplomates américains en invalides grâce à une arme mystérieuse ». L’enquête menée depuis des années par trois poids lourds du journalisme d’investigation, dont le célèbre Christo Grozev – il a révélé la vérité sur l’empoisonnement d’Alexeï Navalny par des agents du FSB, puis a identifié les auteurs de l’empoisonnement du transfuge russe Sergueï Skripal sur le sol britannique – dit avoir établi un » corrélation claire » entre les maladies mystérieuses qui frappent en série les diplomates et agents américains depuis 2014, et les déplacements des membres d’une équipe spéciale du GRU, originaire de l’unité 29155. Cette unité est devenue tristement célèbre notamment pour sa participation à l’attaque de Skripal avec le Novitchok, et également pour son rôle dans l’organisation de l’explosion des stocks d’armes en République tchèque, notent les journalistes. On y retrouve sept protagonistes identifiés par leurs noms par Grozev, Dobrokhotov et Weiss, dont certains sont apparus en première ligne dans l’affaire Skripal. Deux des victimes présentaient ce qui a longtemps été présenté comme des symptômes inexpliqués, mais plutôt comme » attaques acoustiques pulsées » délibérément incités, ont même pu identifier certains membres de cette équipe, les ayant vus au moment des faits, précise l’article.
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Les Russes nient toute implication
Ainsi une victime du « syndrome de La Havane », frappée en novembre 2014 à Francfort, a affirmé avoir reconnu Egor Gordienko, un officier du GRU, originaire de l’équipe de l’unité 29155, dont elle avait remarqué la présence devant son domicile avant l’incident.« C’est lui, j’ai la chair de poule quand je regarde cette photo », a-t-elle témoigné, précisant qu’elle lui avait demandé ce qu’il cherchait avant de s’engouffrer dans une voiture. De même, l’épouse d’un diplomate américain à Tbilissi, également victime d’un syndrome acoustique traumatique, a eu la présence d’esprit de quitter son domicile et de photographier un homme qui montait la garde devant chez elle, à proximité d’une voiture. Il s’agissait apparemment d’Albert Averianov, fils du patron de la fameuse unité 29155, Andreï Averianov, tous deux alors en « affectation » en Géorgie. The Insider publie également un document qui établit que l’adjoint d’Averianov Sr., Ivan Terentiev, était un ingénieur militaire travaillant au développement de technologies militaires destinées à développer… « attaques acoustiques », et qu’il aurait reçu une prime de 100 000 roubles pour son travail !
L’enquête a également révélé que l’Académie de médecine militaire proche du GRU travaillait sur les conséquences du « syndrome de La Havane ». Elle précise qu’un haut responsable du Pentagone a été frappé de symptômes lors du récent sommet de Vilnius en juin 2023. Si les Russes nient évidemment toute implication, l’ampleur des épisodes – un millier de plaintes de personnes touchées, et des dizaines de diplomates frappés d’incapacité -, dessine un tableau. politique globale de nuisance, de multiples consulats à travers le monde ayant été concernés, de La Havane, où l’affaire a éclaté au grand jour en 2016, à la Chine, en passant par Belgrade ou Francfort. Dans son article, The Insider souligne que les autorités américaines ont longtemps privilégié la théorie des problèmes psychosomatiques, malgré les avis contraires d’une grande partie de la communauté sécuritaire américaine. Il y a tout juste un an, à la tête du renseignement national, Avril Haines excluait la main d’une puissance étrangère. Est-ce parce que, comme le suggérait l’ancien officier du renseignement américain Greg Edgreen, jusqu’à récemment en charge de l’enquête, «L’Amérique a du mal à faire face à certaines vérités. » ? Reconnaître que le Kremlin a donné son feu vert à un véritable« Opération spéciale » visant à paralyser des dizaines de diplomates américains spécialisés dans la Russie, piétinant, là comme ailleurs, les règles du droit international et de la protection diplomatique, reviendrait à admettre que la Russie est de facto en guerre avec l’Amérique. « Une histoire terrible dont les Américains auront du mal à ignorer les implications. »a confié ce lundi le rédacteur en chef de The Insider Timur Olevsky, qui espère que «le Sénat aura honte après cela, d’avoir bloqué l’aide à l’Ukraine « .