Annonay (Ardèche), reportage
Ces épisodes sont bien connus des locaux, mais jeudi 17 octobre, leur ampleur était inédite. Les pluies cévenoles ont déversé plus de 600 millimètres d’eau sur les montagnes d’Ardèche. La ville de Mayres a par exemple enregistré 694 mm, soit plus de deux mois de pluie en quarante-huit heures. « Il y avait beaucoup d’eau mais nous y sommes habitués et la topologie fait qu’il y a peu de risques pour nous »» a détaillé le lendemain le maire de Loubaresse, une commune située à 1 250 m d’altitude. Cependant, plus bas, à l’approche de la vallée du Rhône, même si les précipitations furent moins abondantes, elles furent beaucoup plus destructrices.
Au Pilat (Loire) et autour d’Annonay (chef-lieu de l’Ardèche), les autorités ont enregistré 150 mm d’eau, dont 60 en une demi-heure. « J’étais en train de faire du shopping quand j’ai entendu des gens paniquer autour de moi. Je me suis rapproché des fenêtres et j’ai vu une marée monter »décrit une femme annonéenne. Cette commune de 16 000 habitants a été particulièrement touchée.
Quelques kilomètres en amont, le barrage de Ternay, qui alimente la commune en eau potable, a débordé. Des torrents d’eau se déversèrent alors dans la Deûme en aval, s’écoulant à une vitesse vertigineuse jusqu’à Annonay. « Nous n’avons jamais connu cela depuis la couverture de la rivière en 1968. »» déclare le maire de la ville, Simon Plénet.
Les yeux fatigués, vendredi 18 octobre, il constate les dégâts : au cinéma, à la Sécurité sociale et dans une trentaine de commerces, des gens s’affairent à vider les objets encore trempés et tentent d’enlever la boue accumulée. Le mètre d’eau qui s’est déversé sur la ville la veille matin a progressivement reculé. Derrière lui subsistent des dizaines de centimètres de terre et des débris de toutes sortes : des pierres, des branches… et des bidons, des lampadaires et même ce qui semble être des morceaux de ruches. Bref, tout ce qui se trouvait sur le chemin du torrent.
« Plus de végétation pour retenir l’eau »
A 20 kilomètres de là, à Limony, jeudi 17 octobre, des habitants ont été témoins d’autres scènes de chaos. « Soudain, nous avons entendu les hélicoptères, nous sommes sortis et avons vu les maisons sous l’eau et les voisins qui étaient secourus, suspendus à la corde. »souffle Océane, habitante du quartier Arcoule à Limony où 80 maisons ont dû être évacuées. « C’est fou comme ça va vite, continue-t-elle. J’y vis depuis quatorze ans et je n’ai jamais rien vu de pareil. C’est vraiment horrible… Maintenant, je sais que quand il y aura un épisode cévenol, je serai sur mes gardes. »
À Limony, comme à Annonay, les conversations ne tournent que autour de cela, certains cherchent à expliquer le phénomène et à donner du sens à leur traumatisme. « Sur les montagnes environnantes, il n’y a que des vignes, il n’y a plus de végétation pour retenir l’eau. Cela pourrait-il avoir des conséquences ? ? C’est une question qu’on entend beaucoup dans le village »assure la Limonienne.
« On nettoie, on trie et on essaye de ne pas y penser »
A l’heure du déjeuner, vendredi 18 octobre, les commerçants étaient assis autour des tables sur le trottoir. « On n’a plus de boulot, plus de voiture, on ne peut pas dire que ça va bien» dit l’employé de la pharmacie. Tant que nous sommes là, nous faisons ce que nous pouvons. On nettoie, on trie les médicaments, et on essaie de ne pas y penser. » Pouvait-on imaginer une telle catastrophe à Annonay ? ? « Jamais »assurent plusieurs pharmaciens. Un de leurs collègues nuance : « Nous sommes sur le fleuve, nous savions que c’était le genre de chose qui pouvait arriver mais pas à ce niveau-là. »
Avec 627 mm enregistrés, l’épisode de ce jeudi a été « la plus intense jamais enregistrée sur deux jours depuis le début de la XXe siècle »selon Météo-France.
Un peu plus loin, Anne-Lise, habitante du centre-ville, confirme : « Quand je suis allé travailler hier à 8h30, j’ai vu de l’eau mais je me suis dit que ça passerait. Je savais que c’était quelque chose qui pesait au-dessus de nos têtes mais je ne m’en doutais pas… Maintenant le changement climatique est là, on ne peut plus raisonner comme avant, on ne peut plus faire confiance à nos habitudes. »
Un plateau à la main, Lorelei, serveuse à quelques pas des zones sinistrées, tire la même conclusion. « Lorsque nous écoutons les scientifiques, nous savons que ce sont des choses qui vont se produire. Je ne m’attendais pas à ce que cela se produise ici, mais quand on y pense, cela ne semble pas si surprenant… »
Dans les rues d’Annonay, l’ambiance oscille entre fatalisme et une nécessaire dose d’optimisme. L’épisode est passé, les dégâts ne sont que matériels, « maintenant il faut nettoyer et recommencer »dit un commerçant.
Ce désastre est « un appel à l’action et à la mobilisation »a déclaré la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, qui s’est rendue sur place le 18 octobre. « Nous devons investir dans l’adaptation au changement climatique (…). Le niveau d’impact du changement climatique est plus important que prévu ; il faut en faire le point et se dire que les investissements d’aujourd’hui garantissent que les finances publiques de demain ne seront pas impactées. Je fais confiance au premier ministre pour prendre les décisions nécessaires. »
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