L'antisionisme des Juifs de New York
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L’antisionisme des Juifs de New York

L’antisionisme des Juifs de New York

La population juive de l’État de New York est divisée, une partie importante adoptant une position ouvertement antisioniste qui, en réalité, fait écho à des éléments essentiels de la propagande palestinienne. Harold Hyman est allé à la rencontre des militants de Jewish Voice for Peace, une importante association qui regroupe un grand nombre de juifs américains qui dénoncent l’État d’Israël. Narratif.


Les Américains de la côte Est sont passionnés par le conflit entre Israël et le Hamas. A New York, et plus encore dans la vallée de l’Hudson qui s’étend de la ville à Saratoga, à 300 km au nord, tous les regards sont tournés vers cette guerre, et les expressions de solidarité envers le camp palestinien l’emportent clairement. Curieusement, c’est dans les quartiers où se trouvent le plus de Juifs issus des classes moyennes ou supérieures que ce sentiment pro-palestinien est le plus visible. Une organisation juive de protestation contre l’antisionisme, Jewish Voice for Peace (JVP), est très présente ici. Elle place ses affiches et dépliants dans tous les endroits stratégiques : librairies, salons de thé, cafés et restaurants, boutiques, galeries d’art, pharmacies, quincailleries, poteaux électriques… Sociologiquement, cette Hudson Valley est comme un nouveau Brooklyn et devient de plus en plus bohémien. Très peu de présence musulmane ou arabe. Une minorité juive constante, et une majorité d’Anglo-Néerlandais (première souche de colonisation), d’Irlandais-Américains, d’Italo-Américains, et ici et là d’Hispaniques et d’Afro-Américains. Ce n’est pas une région qui envoie des républicains MAGA au Congrès des États-Unis.

C’est le 16 mars que j’ai eu l’occasion de rencontrer des membres de la Voix juive pour la paix de la vallée de l’Hudson, la section locale de l’organisation. JVP se présente comme « la plus grande organisation juive antisioniste progressiste au monde ». Elle se dit populaire, multiraciale, interclasse, intergénérationnelle. « Si vous cherchez un foyer politique pour les Juifs de gauche en cette période périlleuse, si vous voulez une communauté juive orientée vers la justice, si vous cherchez à transformer votre indignation et votre chagrin en actions concrètes et stratégiques : rejoignez-nous ! ». Ces quelques lignes, qui figurent sur le site officiel de la section, reflètent parfaitement l’ambiance de la succursale d’Hudson Valley. J’ai rencontré ses membres dans le village de Saugerties, à 15 km de Woodstock, lieu célèbre près de chez Bob Dylan et lieu du méga concert de rock (qui a effectivement eu lieu à 80 km de là).

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Une affiche devant la librairie du village de Saugerties invite les passants à venir voir le film documentaire de 2013 Des voix à travers le fossé, d’Alice Rothchild, juive américaine, qui présente des portraits de Palestiniens en exil. Curieuse, je me dirige vers la salle de projection de la bibliothèque municipale. Une quarantaine de spectateurs, dont une majorité de retraités, avec quelques jeunes. Une poignée de keffieh. Le documentaire en question, consacré aux Palestiniens, ou à leurs enfants, qui ont fui ce qui deviendra l’État d’Israël en 1948, était touchant. On voit de vraies personnes en 2013, qui ont dû prendre quelques valises et attendre chez des cousins ​​ou dans des hôtels en Jordanie. Des réfugiés qui se souviennent de leurs mères qui vendaient leurs bijoux pour survivre au début ; des hommes, très jeunes alors, qui avaient fui avec leurs parents et qui, à l’époque, avaient trouvé cela amusant, sans rien comprendre. Des enfants élevés en Jordanie, venus étudier aux États-Unis ou au Canada, pour y rester et découvrir que personne autour d’eux ne connaissait la Nakba, ni même l’existence des Arabes palestiniens, sauf en tant que terroristes.

Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient.

Le film d’une heure met en scène ces personnes, leurs souvenirs, leurs photos de famille. Leurs expériences sont touchantes et infiniment tristes. Pourtant, le film présente également un récit des guerres de 1948 et 1967 directement tiré du matériel pédagogique fourni par les nationalistes palestiniens : « En 1948, les Juifs ne représentaient qu’un tiers de la population et ne possédaient que 7 % des terres. Le plan de partage de l’ONU leur offrait 55 % et, à la fin de la guerre, ils en possédaient 78 %..

Que signifie l’inclusion de cette séquence ? Que les Juifs auraient dû se contenter de 7 %, que 55 % était déjà très généreux ? Ensuite, qu’aucun kibboutz n’a été attaqué, qu’il n’y a pas eu d’expulsion de colons juifs dans l’autre sens, depuis Hébron et Jérusalem-Est ? Pourquoi ainsi passer sous silence le fait que plusieurs armées arabes ont attaqué en même temps, contre une armée juive squelettique, sous-armée et sans alliés internationaux ? Pourquoi ignorer le fait que le seul véritable succès arabe fut celui de la Légion arabe jordanienne, avec ses éléments britanniques ? Rien n’est faux dans cette séquence historique, mais les omissions sont extrêmement trompeuses.

Cependant, le documentaire révèle certains points historiques qui méritent toute l’attention du spectateur. Premièrement, un manque total de logique de la part des dirigeants arabes, qui dans certains endroits voulaient que les villageois arabes restent et combattent, mais dans d’autres endroits voulaient que les milices palestiniennes se retirent. Finalement, de nombreux civils palestiniens sont partis pour éviter d’être pris entre deux feux. Par la suite, l’État israélien n’a autorisé aucun de ceux qui avaient fui à rentrer chez eux. L’explication juridique de cette dure réalité n’est pas faite, le spectateur doit simplement se dire : c’était la loi inique israélienne. J’attends une explication grossière, mais c’est un film de souvenirs, pas un documentaire historique.

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Après le film, je participe à une discussion entre les spectateurs, animée par le comité directeur du café du coin. Beaucoup de ces spectateurs commencent par un discours similaire : « Je viens d’une famille juive, nous ne nous sommes jamais vraiment souciés des Palestiniens, mais maintenant je ressens une forte émotion face à leur sort ». Quand je leur fais remarquer que les Palestiniens filmés étaient pratiquement tous chrétiens, ils me demandent, sans aucune agressivité,  » Comment savez-vous? «  Je suis donc obligé d’attirer leur attention sur le fait que la majorité des orateurs portent la croix ou fêtent Noël. Même si un petit nombre ne dit ou ne révèle rien sur leur religion, on ne compte pas une seule femme portant le foulard et à peine deux ou trois prénoms coraniques. Les membres de l’antenne locale du JVP ne sont pas bornés et sont ouverts aux questions. « Donc le documentaire est biaisé ? Est-il possible ? » se demandent-ils à voix haute. C’est la première fois qu’ils prennent conscience de cette possibilité. Leurs certitudes sont-elles ébranlées ? Pas du tout.

Autre certitude : Benjamin Netanyahu est un grand criminel. Je leur fais remarquer que sa coalition gouvernementale comprend de nombreuses personnes qui partagent son avis et que certaines sont encore plus intransigeantes que lui. Que Netanyahu n’a jamais caché son refus d’une solution à deux États. Qu’on pourrait lui reprocher ses prétendues turpitudes, mais pas une quelconque imposture idéologique. Ce à quoi ils semblent acquiescer. Un Israélo-Américain qui a immigré à Saugerties alors qu’il était adolescent mais qui a maintenu des liens avec Israël est le plus ouvert et le plus compréhensif.

J’ajoute que les Israéliens du centre et du centre-gauche ne veulent pas épargner le Hamas, et exigent – ​​tout comme Netanyahu – le retour des otages sans renoncer à désarmer le Hamas par la force brute. Le Hamas ne veut pas s’arrêter, continue de tirer sans arrêt et d’attaquer là où il le peut. Le Hezbollah, bien plus puissant que le Hamas, menace de s’impliquer dans cette histoire. Et enfin, que le Hamas a promis de répéter le 7 octobre, et ne reconnaît aucune exaction barbare, accusant Tsahal d’avoir tourmenté les civils israéliens responsables d’avoir laissé le Hamas envahir ! Là, personne ne me contredit.

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Les JVP écoutent toutes mes remarques d’un air poli, souriant, voire réceptif. Ma connaissance journalistique d’Israël et de la situation actuelle leur inspire un certain respect. Mais ils ne peuvent pas changer d’avis en un quart d’heure. Ils m’expliquent leur passé de militants politiques et je comprends que, pour eux, les Gazaouis ressemblent aux Vietnamiens qui ont résisté à la puissance américaine ou aux Irakiens écrasés par l’armée de l’Oncle Sam. Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient. L’idée selon laquelle les Israéliens traversent une crise existentielle est éclipsée par leurs sentiments sincères d’Américains déconnectés de la périlleuse réalité. Je me demande si les JVP de Saugerties ont conservé la même vision après l’attaque aérienne iranienne. Peut-être que j’irai les revoir lors de mon prochain voyage pour voir s’ils ont changé de point de vue.

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