Ce médecin légiste est l’un des organisateurs de l’exposition sur les zombies présentée au musée du quai Branly-Jacques Chirac et l’un des meilleurs spécialistes français de ces morts-vivants qui ont fasciné le cinéma hollywoodien.
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Si on l’osait, on dirait que la mort est toute la vie. Philippe Charlier, 47 ans, est médecin légiste, archéologue et anthropologue. Il a également tenu une consultation à la maison d’arrêt de Nanterre et mène des investigations sur les restes de grands personnages historiques : Louis XIV, Henri IV, Napoléon Ier, le peintre Raphaël… Pour lui, l’analyse scientifique est un outil pour éclaircir les mystères. du passé, ce que nous appelons parfois le cas froids. A Moscou, il a même pu examiner un morceau de crâne et des dents attribué à Adolf Hitler.
Ce passionné est aussi un spécialiste des zombies auxquels il a consacré un livre en 2015 : Zombies, enquête sur les morts-vivants. Il est l’un des commissaires de l’étonnante exposition qui vient d’ouvrir au musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris. Nous l’avons interviewé dans le cimetière vaudou reconstitué.
Franceinfo Culture : Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux zombies ?
Philippe Charlier : Ayant un double regard sur les sciences humaines et les sciences fondamentales, j’ai travaillé sur les « mauvaises morts », celles qui ne nous laissent pas tranquilles. J’ai effectué plusieurs voyages de recherches anthropologiques en Haïti, à l’ouest de l’île de Saint-Domingue. Je restais quinze jours, parfois un mois. Mon terrain principal était les cimetières. C’est mon deuxième bureau, les cimetières. C’est là que j’apprends le plus. J’ai commencé dans le cimetière principal de Port-au-Prince, la capitale, puis j’ai déménagé dans la vallée de l’Artibonite, au nord, où de nombreux zombies ont été décrits et survivent.
Comment devient-on un zombie ?
Certains individus font le mal, des criminels, des voleurs, des violeurs et surtout, ceux qui ont vendu des terres qui ne leur appartiennent pas, chose très grave en Haïti. Ils prennent le risque d’être jugés par des sociétés secrètes, une sorte de justice parallèle. Ils risquent un châtiment pire que la mort, la zombification. Ils seront alors maudits et empoisonnés par un des « bokor » – sorte de sorcier qui provoque un état de mort apparent – enterrés vivants, exhumés, drogués et privés de liberté et de libre arbitre jusqu’à la fin de leurs jours.
Avez-vous pu rencontrer des zombies ?
J’ai rencontré d’anciens zombies qui se sont libérés ou se sont libérés de leurs maîtres, à l’hôpital psychiatrique de Port-au-Prince, chez eux ou dans les cafés. L’un d’eux, Jacques Ravix, est un gynécologue qui a été zombifié par sa belle-mère parce qu’il voulait se séparer de sa femme. Il m’a raconté qu’il avait été empoisonné en 1994, sans s’en rendre compte, par des substances déposées jour après jour sur les accoudoirs de sa chaise. On lui aurait notamment administré de la tétrodotoxine, un médicament extrait du foie d’un poisson appelé froufrou en Haïti (Tétrodon ou fugu pour les Japonais). Il m’a expliqué qu’il était dans une sorte de coma. Il pouvait continuer à s’habiller et à faire des choses tout en étant complètement inconscient. Il a été repêché alors qu’il se trouvait déjà dans un sac mortuaire. Un membre de la famille a vu qu’il respirait encore. Il a été réanimé et caché afin que le bokor ne puisse pas terminer son travail. Pour le protéger, de fausses funérailles ont même été organisées.
En quoi consiste la zombification ?
Il y a deux aspects. La première est psychologique, c’est presque une suggestion. On met l’individu sous tension, par exemple en plaçant des pattes de poulet sur le seuil de sa porte. C’est déjà énorme dans le contexte de la religion vaudou qui inclut des rituels de transe et de possession. Le deuxième élément est constitué de substances magiques que nous cachons sans le savoir dans nos vêtements. Chaque bokor a sa recette. On retrouve de la poudre d’ossements humains, des écorces d’arbres, des feuilles, de la bave de crapaud, du jus de vipère… On a un faux cadavre, mais de véritables funérailles.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez rencontré ces zombies ?
Ceux que j’ai vus étaient pour la plupart des zombies criminels. Cela signifie qu’il n’y a pas eu de procédure judiciaire, que cela n’est pas passé par le tribunal coutumier. C’est une forme de vengeance, de règlement de compte. Par exemple, un homme qui a zombifié sa femme qui lui a refusé le divorce. J’ai aussi vu, en me promenant dans l’hôpital, des cas psychiatriques. Y compris une femme qui avait été enterrée vivante. Elle était vraiment morte socialement pour moi, très isolée. Elle avait de graves séquelles, ne regardait jamais dans les yeux, ne supportait aucun contact. Elle n’était plus sous l’influence négative d’un bokor, elle était libre, mais elle a disparu depuis 2015.
Dans votre pratique de médecin légiste, avez-vous déjà été confronté à de fausses morts ?
J’ai failli autopsier deux personnes qui semblaient mortes mais qui ne l’étaient pas : une femme suicidaire qui avait pris beaucoup de bêtabloquants, un médicament qui ralentit le cœur, et une autre qui avait eu un accident vasculaire cérébral. Définir la mort n’est vraiment pas facile. Il en existe trois types : la mort réelle et constante, la mort cérébrale (qui permet de prélever des organes) et la mort sociale, qui inclut les zombies (les sans-abri, les personnes très âgées que personne ne visite dans les maisons de retraite, les migrants). …). Nous faisons beaucoup de recherches en ce moment pour caractériser les différentes étapes de la mort et non, contrairement à la légende, les ongles et les cheveux ne poussent plus quand on meurt !
Avez-vous une idée du nombre de zombies qu’il y a en Haïti ?
Les zombies sont parmi nous. Il y a actuellement plusieurs dizaines de milliers de zombies dans ce pays et une augmentation est attendue en raison des troubles actuels liés à la violence des gangs car elle crée des « mauvaises morts », des personnes assassinées qui n’ont pas eu les rituels funéraires.
Que pensez-vous des films de zombies ?
Ils donnent une vision bâclée, partiale et caricaturale qui nuit à la culture haïtienne. La figure du zombie est devenue la métaphore de la peur d’une mort contagieuse, comme un virus. Nous en faisons un copier-coller du vampire occidental. En Haïti, quiconque touche un zombie ne devient pas un zombie, un zombie n’a jamais mordu quelqu’un qui est ensuite devenu un zombie.
Exposition « Zombies. La mort n’est pas la fin ? » Jusqu’au 16 février 2025 au musée du quai Branly-Jacques Chirac – Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h30 à 19h00 Entrée 12 euros, tarif réduit 9 euros, 1er dimanche du mois gratuit.