L’ancien président est décédé mercredi des suites d’un cancer. Il avait été libéré en décembre après avoir passé 16 ans en prison, où il purgeait une peine de 25 ans pour crimes contre l’humanité.
Alberto Fujimori est décédé mercredi 11 septembre à Lima d’un cancer de la langue, après avoir purgé 16 ans de prison pour crimes contre l’humanité et corruption. « pardon » Formulée en 2017 par l’ancien homme fort pour les actes commis par son gouvernement, Alberto Fujimori a divisé les Péruviens comme peu de politiciens l’ont fait dans l’histoire du pays. Car dans ce pays andin de 32 millions d’habitants, il est difficile d’oublier le passage au pouvoir de celui que l’on surnomme « El Chino » (le Chinois).
Pour certains, il est l’homme qui a boosté la croissance économique du pays grâce à sa politique ultra-libérale, et a combattu avec succès la guérilla du Sentier lumineux (maoïste) et le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (guévariste). D’autres se souviennent surtout des scandales de corruption et de ses méthodes autoritaires, qui l’ont conduit derrière les barreaux pour avoir ordonné deux massacres perpétrés par un escadron de la mort en 1991-1992, dans le cadre de la lutte contre le Sentier lumineux. Qualifié de « dictateur » par ses ennemis, il a été condamné en 2009 à 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité.
Né à Lima le 28 juillet 1938 de parents immigrés japonais, Alberto devient ingénieur agronome puis enseigne les mathématiques. En 1964, il passe une année universitaire à Strasbourg où il apprend le français et obtient, en 1970, une maîtrise de mathématiques aux États-Unis. Après son retour à Lima, il est nommé recteur de l’Université d’agronomie (1984-1989), puis élu président de la conférence des recteurs d’université en 1987. En 1990, Alberto Fujimori remporte à la surprise générale l’élection présidentielle face au célèbre écrivain et prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa.
« Agir d’abord, informer ensuite »
Faute de majorité, le 5 avril 1992, avec l’appui des forces armées, il dissout le Parlement et suspend la Constitution. L’année suivante, il fait adopter une nouvelle Loi fondamentale donnant plus de pouvoirs au président. Comme à son habitude, il prend ses décisions dans le plus grand secret, entouré de sa garde rapprochée. Même ses ministres n’en sont pas informés. « Agir d’abord, informer ensuite »il aimait répéter. « Pour lui, il n’y avait pas de cadre légal, seule sa volonté et celle de ses amis comptaient. »juge le sociologue Eduardo Toche.
Après sa victoire sur le Sentier Lumineux et l’arrestation de son leader Abimael Guzman – décédé en prison le 11 septembre 2021 – le magazine américain Temps En 1993, il est élu personnalité sud-américaine de l’année. Lors de l’élection présidentielle de 1995, il est réélu dès le premier tour pour un second mandat de cinq ans, battant l’ancien secrétaire général des Nations unies, Javier Perez de Cuellar. En 1996, le Parlement adopte une loi lui permettant de briguer un troisième mandat. En mai 2000, Alberto Fujimori remporte à nouveau les élections, mais le Parlement vote sa destitution en novembre pour corruption.
Scénario hollywoodien
L’affaire prend des allures de scénario hollywoodien. Le leader déchu s’enfuit au Japon, dont il a aussi la nationalité, et démissionne par fax depuis un hôtel de la capitale japonaise. Lima tente pendant des années de convaincre Tokyo de l’extrader, en vain. Après une longue bataille juridique, c’est finalement le Chili, où il s’était rendu en 2005, qui extrade Fujimori deux ans plus tard.
Il a eu deux garçons et deux filles, dont Keiko, candidate malheureuse à la présidentielle en 2011, 2016 et 2021. Leader de l’opposition péruvienne qui a capitalisé sur l’héritage de son père, elle a été mêlée à un scandale de corruption et a déjà passé plusieurs mois en détention provisoire. Alberto Fujimori avait choisi Keiko, 19 ans seulement, comme épouse. « première dame du pays » après son divorce en 1994 avec leur mère Susana Higuchi, ex-femme devenue une critique virulente du régime, décédée en décembre 2021 à l’âge de 71 ans.
La grâce présidentielle
Durant sa détention dans une cellule spéciale d’une caserne de police, l’ancien président a été renvoyé à plusieurs reprises entre l’hôpital et la prison en raison de problèmes de santé récurrents. Une longue bataille juridique a été menée par sa famille et ses avocats pour s’assurer qu’il ne finisse pas sa vie derrière les barreaux. Mi-mars 2022, une grâce présidentielle accordée la veille de Noël 2017 par le président de l’époque, Pedro Pablo Kuczynski, a finalement été annulée en octobre 2018 par la justice.
Mais le 7 décembre 2023, la Cour constitutionnelle a ordonné la libération immédiate de l’ancien président controversé, rétablissant la grâce accordée en 2017. Il n’a cependant pas été réhabilité pour ses crimes, malgré une loi déclarant prescrits les crimes contre l’humanité commis avant 2002, qui aurait dû lui bénéficier, ainsi qu’à des centaines d’autres officiers accusés d’abus pendant le conflit interne des années 1980 et 1990. Approuvée en août dernier, malgré une résolution de la Cour interaméricaine des droits de l’homme demandant la suspension du processus législatif, Fujimori est décédé avant qu’elle ne puisse lui être appliquée.
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