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L’ancien patron de la DGSE risque d’être jugé pour complicité de tentative d’extorsion

Bernard Bajolet, ancien patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), risque, comme l’a demandé jeudi le parquet de Bobigny, un procès pour complicité de tentative d’extorsion d’un homme d’affaires, dans une histoire nébuleuse liée à la gestion de « patrimoine privé » d’État.

Le ministère public a également requis son renvoi devant le tribunal correctionnel pour atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l’autorité publique. C’est désormais au juge chargé de l’instruction de trancher.

Contactée par l’AFP, la DGSE n’a pas souhaité faire de commentaire.

Les services de renseignement sont accusés par l’homme d’affaires Alain Duménil d’avoir utilisé la coercition pour lui exiger de l’argent.

En mars 2016, ce Franco-Suisse, impliqué dans une multitude de dossiers judiciaires et de litiges commerciaux, s’apprêtait en effet à embarquer pour Genève à l’aéroport de Roissy. Au comptoir d’Air France, il est contrôlé par deux agents de la police aux frontières qui l’invitent à les suivre jusqu’au commissariat.

Dans la salle, il se retrouve face à deux agents en civil de la DGSE. Se présentant comme « l’état », ils expliquent qu’il doit rembourser 15 millions d’euros à la France. Pour appuyer leur demande, ils lui montrent des photos de lui et de sa famille, prises en Angleterre et en Suisse. Selon Alain Duménil, ils auraient proféré des menaces. L’homme d’affaires s’emporte et annonce qu’il porte plainte. Les agents disparaissent.

« Alain Duménil se réjouit de cette avancée notable en la matière »huit ans après le dépôt de sa plainte, « malgré les nombreux obstacles qui existaient »a déclaré à l’AFP Me Nicolas Huc-Morel, qui le défend.

« L’implacable réquisitoire s’appuie sur des accusations puissantes qui, à notre avis, rendent inévitable la condamnation de Bernard Bajolet. Le prochain procès sera celui d’un ancien grand serviteur de l’Etat qui a abusé de ses missions à des fins privées.a ajouté William Bourdon, l’autre avocat d’Alain Duménil.

Dans son réquisitoire final consulté par l’AFP, le parquet estime qu’il est « probable que Bernard Bajolet s’est rendu complice d’actes de tentative d’extorsion (…) par instruction donnée de réaliser un entretien dont il connaissait le lieu et les conditions de réalisation », « conditions induisant le recours à la coercition et rendant probable le recours à la pression ».

Le parquet mentionne que le rapport déclassifié de l’intervention – qui ne révèle pas les noms des agents, protégés par le secret-défense – précise que l’entretien a été organisé «à l’initiative du directeur général».

À la tête des services de renseignement extérieurs français d’avril 2013 à mai 2017 avant de prendre sa retraite, Bernard Bajolet a été mis en examen en octobre 2022 par un juge d’instruction de Bobigny. Une décision confirmée par la cour d’appel de Paris en octobre dernier.

Son avocat, Mario Stasi, n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.

– Des investissements infructueux –

Lors de son premier interrogatoire devant le juge d’instruction, Bernard Bajolet a expliqué qu’il avait seulement validé le principe d’un entretien à l’aéroport mais n’était pas entré dans les détails de sa mise en œuvre. Selon lui, l’objectif était un contact court et sans contrainte.

Alain Duménil est la bête noire de la DGSE depuis un conflit vieux de plus de deux décennies.

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la DGSE gère un « patrimoine privé » confiée par l’État dans une volonté d’indépendance de l’institution en cas d’occupation étrangère ou de disparition du gouvernement.

Ce patrimoine est légal et une partie – les fonds spéciaux – figure dans le budget de l’Etat mais il échappe néanmoins à tout contrôle. Selon des sources sécuritaires interrogées par l’AFP, le montant de ce patrimoine n’est pas officiellement connu.

Plusieurs investissements sont réalisés par la DGSE, notamment à l’étranger.

À la fin des années 1990, la DGSE investit sans succès dans une entreprise. Une décennie plus tard, lors d’un échange d’actions, Alain Duménil devient actionnaire majoritaire de cette société et vend les parts de sa holding à la DGSE. Il a ensuite transféré les actions de la société holding détenues par la DGSE dans trois autres sociétés qu’il détenait également.

La société holding est mise en liquidation.

Dans le cadre de la procédure judiciaire qui en a résulté, l’homme d’affaires a été mis en examen pour faillite.

La DGSE estime qu’Alain Duménil lui doit 15 millions d’euros, dont trois d’intérêts.

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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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