L’Alpine A110 est une véritable anomalie française miraculeuse
Existe-t-il une malédiction française sur les voitures de prestige ? On pourrait vraiment le croire au vu des résultats de ventes de nos marques nationales qui ne parviennent jamais à séduire les clients avec des modèles haut de gamme. La grosse DS 9 ? Un échec cuisant qui s’apprête à quitter prématurément le catalogue, tout comme la Peugeot 508 PSE. Que ce soit chez Peugeot, Citroën ou Renault, aucune des routières raffinées commercialisées ces trente dernières années (Citroën C6, Renault Espace 5, Avantime, Vel Satis, Peugeot 607…) n’a réussi son coup et c’est encore pire pour les vraies sportives : malgré un véritable savoir-faire chez Peugeot Sport ou Renault Sport sur les variantes piquantes de citadines et compactes jusqu’à la fin de la décennie précédente, les sportives françaises à succès n’existent plus depuis les années 1960.
L’Alpine A110 originelle est toujours une légende du rallye et reste à ce jour l’une des grandes sportives françaises de l’histoire. Mais la marque de Jean Rédélé, passée sous contrôle de Renault en 1972, ne parvint pas à se développer. Malgré un certain succès pour l’A310, que le fondateur imaginait comme une GT plus confortable, la division sportive se perdit à partir des années 1980 avec une grande GTA puis une A610 moyennement intéressantes à conduire. Cela entraîna la disparition pure et simple d’Alpine en 1995, Renault préférant finalement sortir son Spider sous la bannière du losange en 1996 (le modèle n’aurait sans doute pas sauvé la marque en l’état vu son manque de succès).
Fondée en 1985, Venturi avait tous les atouts pour prendre la relève d’Alpine et réussir comme constructeur français de voitures de sport. Malheureusement, elle n’a jamais réussi à s’imposer malgré la beauté de ses voitures et leurs qualités dynamiques reconnues. La marque a disparu quasiment en même temps qu’Alpine, même si le nom Venturi a continué d’exister sous la présidence de Gildo Pastor (notamment avec le projet de voiture de sport électrique Fetish surclassée par la Tesla Roadster, beaucoup moins chère).
Du côté des grands groupes automobiles, on a pu voir quelques projets intéressants. Les tâtonnements de PSA avec la 607 Pescarolo par exemple, ou surtout la RCZ malgré une approche technique trop timide pour en faire une vraie sportive (rappelons-nous l’excellente RCZ-R). Mais surtout chez Renault où, à côté de séries limitées parfois folles au sein de la gamme du constructeur au losange (personne n’oubliera l’incroyable Clio V6 !), les équipes du constructeur vont tenter à de nombreuses reprises de relancer Alpine. De la fin des années 90 aux années 2000, il y a eu plusieurs tentatives pour convaincre la direction du groupe, aucune n’a abouti. Celle de la Z11 en 1999, par exemple, mais surtout la W19 de 2007 qui était basée sur la Nissan 350Z (avec un V6 atmosphérique de 3,5 litres installé à l’avant et un style déjà très étudié pour coller aux codes d’Alpine). A chaque fois, les conditions du moment n’ont pas permis une validation définitive du projet par le grand patron du groupe français.
Le tournant historique d’Alpine est dû à un meilleur contexte économique à l’approche du milieu des années 2010, lorsqu’un certain Carlos Tavares décide d’imposer un projet de résurrection d’Alpine à Carlos Ghosh avec une véritable voiture de sport avec un développement sérieux et un positionnement crédibleContre toute attente et grâce à l’expertise d’une équipe aussi passionnée qu’expérimentée, le projet a réussi avec des solutions techniques audacieuses (châssis aluminium) et une gestion des coûts très soignée.
Sortie en 2017, la deuxième Alpine A110 a stupéfié toute la presse automobile lors de ses premiers essais. Jolie à regarder, plus confortable que ses rivales, excitante à conduire sans avoir de mécanique particulièrement extrême, elle incarne désormais la voiture de sport polyvalente idéale. Sur un marché européen où les émissions de CO2 sont désormais un frein, sa frugalité due à sa masse et la légèreté de son design sont totalement dans l’air du temps. En France, elle parvient même à conserver un malus écologique relativement faible en 2024 (2 726 € en version de base) alors que ses concurrentes flirtent plutôt avec les 60 000 € de taxe ! Elle doit désormais réduire sa cadence de production à moins de 1 500 unités par an en raison d’un manque de compatibilité avec les normes GSR2, mais la voiture française a tout de même dépassé les 20 000 unités produites fin 2023. Une goutte d’eau dans l’océan comparée aux plus de 50 000 Porsche 911 livrées dans le monde rien qu’en 2023, certes, mais un chiffre inattendu pour une voiture de prestige française moderne (commercialisée uniquement en Europe et sur de rares marchés hors Vieux Continent récemment comme le Maroc, le Japon, Israël et la Turquie).
Espérons qu’il survive le plus longtemps possible à l’ère de l’électrification d’Alpine, ne serait-ce que pour profiter de l’énorme investissement réalisé par Renault pour le développer il y a une décennie (et lui donner envie de le refaire).